Bio 4 octobre 2021

De l’appétit pour les grains bio du Québec

Après les viandes, les fromages et les alcools, c’est au tour des grains bio du Québec de profiter de l’engouement des consommateurs pour l’achat local. L’offre, tout comme la demande, est à la hausse ces dernières années, si bien que plusieurs initiatives ont fait leur apparition, contribuant à la diversification de ce créneau.

Dans l’atelier de Maxime Deslandes, au cœur de Montréal, flotte une réconfortante odeur de pain chaud. Le propriétaire de Blé de pays vient de sortir une fournée de miches et de baguettes dorées destinée à une dizaine de restaurateurs et à sa clientèle montréalaise. Ce qui le distingue de la compétition? Le jeune boulanger se fait un devoir d’utiliser exclusivement des grains biologiques provenant du Québec. « Un commerce comme le mien n’aurait pas vu le jour il y a 10 ans, reconnaît-il. Il faut convaincre le consommateur qui a grandi en mangeant du pain d’épicerie d’essayer quelque chose de différent. Ce n’est pas toujours facile, mais ça devient un argument de vente supplémentaire de pouvoir lui expliquer la provenance du blé. »

Toujours dans la métropole, la petite épicerie de produits en vrac Loco dans Villeray observe un phénomène similaire. « Depuis la pandémie, on a observé une hausse des ventes dans les céréales qui sont identifiées comme locales. C’est la même chose pour les farines, qui sont un bon vendeur. Une chose est sûre, si ce n’était pas de l’étiquette locale, je n’en vendrais pas autant », estime sa gérante Annie Martineau.   

Un mouvement

« Des chefs et des boulangers ont d’abord décidé de travailler uniquement avec des grains locaux. Puis, ce mouvement percole maintenant chez les consommateurs. Certains nous demandent même des grains ronds pour se faire leur propre farine ou leur miso », décrit Justine Dewavrin, copropriétaire du Moulin des Cèdres, meunerie qui transforme 1 000 tonnes de grains par année en provenance de la ferme familiale en Montérégie et d’autres producteurs en régie biologique des alentours.

De l’avis de producteurs et d’intervenants du secteur des grains bio, l’achat local gagne des adeptes.
De l’avis de producteurs et d’intervenants du secteur des grains bio, l’achat local gagne des adeptes.

On peut affirmer sans se tromper que ce créneau connaît une certaine effervescence. Des producteurs comme Folle Farine et les Moulins de Charlevoix se sont équipés pour transformer leur propre farine, tandis qu’une première vodka faite à partir de grains bio du Québec, de la Distillerie Grand Dérangement, a fait son entrée dans les SAQ début septembre. Même les grands transformateurs n’échappent pas à ce phénomène : la boulangerie St-Méthode offre aussi une gamme de produits biologiques avec des céréales du Québec. « On voit la concurrence arriver, mais on n’a pas de difficulté à écouler nos stocks, note Justine Dewavrin. L’offre augmente, de même que la demande. »

Gaël Paridaens, copropriétaire du Moulin de Promelles, en Estrie, fait partie de cette nouvelle vague de producteurs de grains qui mettent de l’avant leur appartenance au terroir pour se rapprocher des consommateurs. Depuis trois ans, tout le blé cultivé à la ferme est moulu sur place. Une partie de la farine produite est destinée à la boulangerie que la ferme a ouverte à Coaticook. « Nos chiffres de vente sont en pleine expansion sans même faire d’efforts de mise en marché. L’engouement est là. C’est important de dire qu’on a semé, moulu et boulangé nos céréales. Avoir notre boulangerie nous permet aussi de tester nos produits et nos grains et d’avoir un coup d’avance sur la qualité », résume le producteur.

L’appel du local

Si de l’avis de plusieurs, l’engouement pour les grains bio du Québec se ressent depuis cinq ou six ans, notamment en raison des recommandations du nouveau Guide alimentaire canadien, le contexte pandémique a donné un coup de pouce à ce secteur.

« En mars 2020, la rupture de stock de farine chez les grands détaillants s’est répercutée chez nous. À un certain moment, ça a été la cohue. En trois semaines, on a écoulé 12 tonnes de farine en poches de 20 kilos auprès des particuliers », se souvient Justine Dewavrin, du Moulin des Cèdres. Certains consommateurs ont découvert son entreprise et l’ont adoptée. D’autres sont retournés à leur marque habituelle. « Pour faire adopter les grains d’ici aux consommateurs, on parle plutôt d’un marathon que d’un sprint », commente-t-elle.

Chose certaine, l’intérêt des consommateurs pour l’achat local n’est pas près de s’arrêter, prévoit Gaël Paridaens, du Moulin de Promelles. « On parle d’un marché de niche, mais qui va encore se développer. Ce n’est pas tant l’idée du bio qui séduit la clientèle que le local. Même si j’étais en conventionnel, j’aurais une belle croissance dans mes ventes. Le manger local est très fort en ce moment, surtout chez la génération des millénariaux. Je pense qu’on gagnerait à faire connaître le produit et à travailler pour percer d’autres marchés. » 


Des défis logistiques

Du côté de la Coop Agrobio, qui regroupe désormais 110 producteurs, on confirme observer une croissance soutenue de la demande pour les grains bio, ce qui comporte toutefois certains enjeux.

« On remarque énormément d’initiatives de transformateurs qui veulent émerger, mais plusieurs ne voient jamais le jour », constate Guillaume Camirand, responsable de la mise en marché des grains pour la coopérative qui fournit notamment des entreprises comme La Milanaise ou Du Breton.

Les propriétaires du Moulin de Promelles sont partisans de l’approche « du champ au fourneau ». Dans l’ordre : Yoann Paridaens, Pascal Paridaens et Gaël Paridaens.
Les propriétaires du Moulin de Promelles sont partisans de l’approche « du champ au fourneau ». Dans l’ordre : Yoann Paridaens, Pascal Paridaens et Gaël Paridaens.

Avec 26 000 hectares de cultures et un nombre croissant de membres chaque année, le représentant de la coopérative affirme qu’il ne s’agit pas d’un problème de superficie ou de production. La mise en place des projets de transformation est parfois problématique pour des questions de financement, car les banques réclament de plus en plus de garanties, ou de logistique.

« Si un transformateur veut 30 tonnes de grains en plusieurs poches de 500 kilos ou de 20 kilos, ça pose un défi, car il faut prévoir des ensacheuses et des camions », explique Guillaume Camirand. Dans ce contexte, acheminer les grains aux acheteurs peut représenter un obstacle pour certains producteurs qui traitent avec des grossistes.

À cela s’ajoutent les consommateurs qui appellent chaque semaine la coopérative pour s’approvisionner directement chez les producteurs. « Il y a une certaine méconnaissance du monde agricole, ajoute-t-il. Dans la plupart des cas, les producteurs n’ont pas nécessairement l’équipement pour des emballages individuels ou les infrastructures pour accueillir le public. »

Est-ce que ça vaudrait la peine de s’équiper en conséquence? « On perçoit l’engouement et on souhaite le mesurer. On est à l’étape préliminaire de calculer si ça vaut la peine d’investir dans ces équipements. Parce que la vraie question reste à savoir si le consommateur est prêt à payer un peu plus », conclut-il.