Forêts 30 septembre 2021

Épidémie localisée de spongieuse européenne en contexte forestier privé et de production acéricole

Une forte épidémie de spongieuse européenne (Lymantria dispar dispar [L.]) touche actuellement le Québec. De graves défoliations ont été observées dans les régions de la Montérégie, de l’Estrie, du Centre-du-Québec, de la Mauricie, de l’Outaouais et de la Capitale-Nationale. Déjà, des propriétaires forestiers et des producteurs acéricoles sont inquiets. Certains se rappellent encore la récente épidémie de livrée des forêts ayant notamment sévi dans Lanaudière et dans les Laurentides.

La spongieuse européenne : une chenille défoliatrice

La spongieuse européenne est un papillon introduit, à la fin du 19e siècle, par un entomologiste désireux de développer la production de soie en Amérique du Nord. Malheureusement, ces efforts se sont surtout soldés par l’introduction d’un insecte dont les chenilles sont capables de consommer le feuillage de plus de 500 espèces végétales différentes : le chêne rouge est leur essence préférée, mais les larves (chenilles) peuvent aussi se nourrir des feuilles du bouleau à papier et gris, du saule, du tilleul, du mélèze, du peuplier, du hêtre, de la pruche, du pin et de l’épinette. L’érable à sucre est acceptable pour ces chenilles, tandis qu’elles ne toucheront pas à l’érable rouge. En dévorant le feuillage des arbres au printemps et au début de l’été, la spongieuse, comme tous les défoliateurs, réduit la capacité photosynthétique des arbres. La photosynthèse leur permet de produire les sucres nécessaires à l’accomplissement de leurs activités biologiques (croissance longitudinale et radiale, fructification, protection…). Une incapacité à réaliser cette activité essentielle peut avoir des impacts importants. Heureusement, les arbres ont des réserves leur permettant de faire face à ces épisodes. Toutefois, l’état de ces réserves est largement dépendant des conditions dans lesquelles se trouvait l’arbre avant sa défoliation. Ainsi, un arbre « stressé » aurait des réserves plus petites, et donc une capacité à survivre et prospérer à la suite d’une défoliation moins grande qu’un arbre sain évoluant dans des conditions qui lui sont favorables.

Mieux vaut prévenir que guérir

La prévention est la meilleure protection face aux effets négatifs des défoliations. Dans le cas des érablières, cette prévention prend la forme de l’application des recommandations usuelles d’aménagement forestier visant la mise en place de peuplement en bonne santé :

• Favoriser la diversité d’espèce;

• Favoriser la diversité de classes d’âge;

• Procéder à l’amendement (chaulage et autres matières fertilisantes) du sol de l’érablière si, et seulement si un test de sol et un diagnostic de l’état de santé de l’érablière dûment complété par un professionnel compétent le recommande;

• Favoriser la croissance de peuplement adapté aux conditions de drainage et de texture de sol présente dans le boisé (éviter de favoriser systématiquement l’érable à sucre au détriment de l’érable rouge, surtout dans les sites de drainage plus lent).

Spongieuse européenne adulte. À gauche, on aperçoit une masse d’oeufs sous la femelle de couleur pâle et à droite, les papillons foncés sont des mâles.
Spongieuse européenne adulte. À gauche, on aperçoit une masse d’oeufs sous la femelle de couleur pâle et à droite, les papillons foncés sont des mâles.

Comment décider s’il faut épandre un insecticide homologué

Comme la spongieuse défolie les arbres de la fin du printemps au début de l’été, il est malheureusement trop tard, cette année, pour intervenir. Il est toutefois possible d’évaluer le risque que court un boisé pour la prochaine année en procédant à un inventaire des masses d’œufs. La méthode proposée ici est directement tirée d’une publication du ministère des Ressources naturelles de l’Ontario disponible sur le site de la « Federation of Ontario Cottager’s Associations ».

1- Inventorier les masses d’œufs de l’année courante dans des parcelles de 100 mètres carrés (1 hectare) comportant 10 sous parcelles de 1 mètre carré.

2- Dénombrer les masses d’œufs aériennes dans la grande parcelle et les masses d’œufs au sol dans les petites parcelles.

a. Les masses d’œufs aériennes sont celles situées sur toutes les surfaces au-dessus du sol comme sur les troncs, les branches, les tiges et les grosses roches. Des jumelles peuvent être nécessaires pour bien voir les masses d’œufs situées haut dans les arbres.

b. Les masses d’œufs au sol incluent toutes celles sur ou sous les petites roches et les débris ligneux jonchant le sol ainsi que directement au sol. Réaliser le dénombrement sur une seule parcelle n’est pas suffisant. Il faut utiliser plusieurs parcelles réparties dans l’érablière.

3- Dans l’ensemble de ces inventaires, il est important de ne compter que les masses d’œufs de l’année : celles-ci ont une couleur plus foncée variant de brun à chamois. Il est toujours possible d’y faire éclater les œufs (« pop ») et elles sont plus fermes et cohésives que celles des années antérieures. Les masses d’œufs des années antérieures sont plus pâles, elles peuvent s’effriter lorsque nous les grattons et les œufs n’éclatent pas aussi régulièrement que dans les masses d’œufs de l’année.

4- L’automne est la meilleure période pour faire ces inventaires, car c’est durant cette période que les différences entre les masses d’œufs des différentes années sont les plus grandes.

5- Une fois les dénombrements complétés dans une parcelle et ses sous-parcelles, il faut calculer en densité de masses d’œufs (MO) par hectare. Voici la méthode de calcul à effectuer pour chaque parcelle :

1 Nombre de MO aérienne X 100 = Total MO aérienne;

2 Nombre de MO au sol X 1000 = Total MO au sol;

3 Total MO aérienne + Total MO au sol = Total de MO de la parcelle.

a. Une fois que le total de masses d’œufs de chaque parcelle a été obtenu, on calcule ensuite la moyenne*.

1 Total de MO parcelle A + Total MO parcelle B = Somme MO;

2 Somme MO / 2 parcelles* = moyenne de MO.

* Nous additionnons le total pour chacune de nos parcelles et ensuite, nous divisons cette somme par le nombre total de parcelle.
Dans cet exemple, nous avons deux parcelles : parcelle A et parcelle B.

La moyenne obtenue est ensuite comparée à certains barèmes pour déterminer la nécessité d’agir pour combattre l’infestation ou non (voir tableau 1).

Il est important de comprendre que plus le total de masses d’œufs par hectare diffère d’une parcelle à l’autre, plus il devrait y avoir de parcelles effectuées.

Autres éléments à tenir en compte

Bien que les prédictions découlant des inventaires de masse d’œufs soient déjà bonnes, il est possible de raffiner davantage l’analyse en tenant compte des points suivants :

• Une majorité de masses d’œufs plus petite qu’une pièce de 25 sous témoigne d’une population en déclin ce qui diminue la nécessité d’intervenir avec vigueur pour contrôler l’épidémie;

• Au Québec, les épidémies de spongieuse durent rarement plus de trois ans. Il est donc possible de limiter l’intensité d’intervention si nous sommes déjà à la troisième année;

• Si nous remarquons déjà une mortalité supérieure à la normale des arbres en général, et des érables en particulier, nous pouvons favoriser un niveau d’intervention plus important. Il faut bien se rappeler toutefois qu’un arbre totalement défolié n’est pas nécessairement un arbre mort;

• Un diagnostic témoignant d’un problème de santé important dans les érablières, surtout dans les cas d’érablières équiennes âgées ou en présence réduites d’essences compagnes, peut aussi justifier d’intensifier les moyens de luttes.

N’hésitez pas à demander l’aide de professionnels compétents pour ces inventaires et la décision d’intervenir.

Groupe d’arbres défolié par la spongieuse européenne.
Groupe d’arbres défolié par la spongieuse européenne.

Pour terminer

La spongieuse européenne présente son lot d’inquiétude pour les propriétaires et les entreprises acéricoles, mais il est important de prendre en considération plusieurs points avant d’agir, car ce ravageur forestier peut avoir un niveau d’impact différent en fonction des peuplements touchés. La décision d’intervenir, ou non, dans un ou des peuplements d’un lot boisé ou d’une érablière devrait reposer sur une analyse avantages versus coûts : est-ce que les pertes économiques anticipées justifient l’investissement nécessaire pour appliquer un ou des moyens de lutte? Il est certain que la nature des activités pratiquées par le propriétaire forestier dans son boisé aura un effet sur cette analyse. Les producteurs forestiers (de bois) misent généralement sur des revenus passablement espacés dans le temps, soutenus par des investissements plus limités alors que les producteurs acéricoles misent sur des revenus annuels qui demandent des investissements plus importants.

Avant de commencer tout travail de lutte à la spongieuse, contactez votre conseiller forestier, votre agence forestière ou votre unité de gestion du MFFP afin d’obtenir de l’aide technique.

Si vous avez des questions ou des commentaires concernant cet article, communiquez avec Martin Pelletier à [email protected]
ou au 819 369-4000, poste 402.


Martin Pelletier, ing. f., Centre ACER, avec la collaboration de Pierre Therrien, biologiste, Ph. D., ministère de la forêt de la faune et des parcs du Québec (MFFPQ)

Références :

1. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Insectes, maladies et feux dans les forêts du Québec en 2020 : https://bit.ly/3jZ0BRN

2. Forest Health and Silviculture Section Forest Management Branch, Gypsy Moth Egg Mass Surveys for the Woodlot Owner, October 1999 : https://bit.ly/3sey91W


Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2021 du magazine Forêts de chez nous.