Actualités 20 septembre 2021

Changements climatiques : priorité à la protection des sols

Des hivers moins enneigés, des redoux plus fréquents. Déjà perceptibles, les changements climatiques obligent les agriculteurs à revoir leur stratégie en matière de fauche automnale des prairies ou d’ensemencement de céréales d’automne dans les grandes cultures.

« Le fait d’avoir une végétation en place pendant l’hiver, que ce soit des plantes pérennes ou des cultures de couverture comme des céréales d’automne, ça vient diminuer les risques d’érosion du sol », fait valoir Marie-Noëlle Thivierge, ­chercheure scientifique à Agriculture Canada. 

Pour la chercheure scientifique Marie-Noëlle Thivierge, une récolte automnale compromet la période de repos des plantes pérennes et augmente les risques de mortalité hivernale.
Pour la chercheure scientifique Marie-Noëlle Thivierge, une récolte automnale compromet la période de repos des plantes pérennes et augmente les risques de mortalité hivernale.

Avec des pénuries de foin comme on en a connu en 2020, il peut être ­tentant d’y aller avec une fauche à l’automne, surtout lorsque celui-ci est clément. Agronome chez Lactanet, Jean-Philippe Laroche recommande toutefois de résister à la tentation. « Une étude réalisée en 2020 sur plusieurs sites au ­Québec a démontré qu’une coupe automnale la première année d’une prairie est avantageuse du point de vue du volume récolté, mais que sur sa durée de vie, le rendement moyen n’augmente pas. »

C’est que la survie des cultures, laissées sans ou avec peu de protection au grand froid, devient évidemment à risque. Une légumineuse comme la luzerne, par exemple, est fragilisée devant une fauche tardive pour deux raisons, explique le professionnel en nutrition et fourrages. « On vient d’abord réduire la hauteur de l’herbe qui est dans le champ et ça diminue d’autant la captation de la neige alors qu’on sait que la couverture de neige est essentielle pour protéger la luzerne du froid pendant l’hiver. »

L’autre raison est que l’énergie que prendra la luzerne à croître avant l’arrivée du premier gel mortel constitue autant de réserves indisponibles pour passer au travers des longs mois d’hiver. « Il est essentiel qu’elle puisse accumuler des réserves de sucre et d’azote dans sa racine pivotante et son collet », renchérit Marie-Noëlle Thivierge, qui recommande de conserver une végétation haute de 20 à 25 cm en prévision de la saison froide, toujours dans l’optique de retenir la neige au champ.

Pour le producteur prêt à hypothéquer le rendement de sa prairie au prix d’une fauche automnale, Jean-Philippe Laroche pose deux conditions. « Il faut laisser une hauteur minimale de 10 cm au champ et attendre d’obtenir 500 degrés-jour (température de base de 5 degrés) après la coupe précédente avant de faucher. Ce qui correspond généralement à 50 jours. »

Les céréales d’automne

Dans les grandes cultures, l’ensemencement d’une céréale d’automne après la récolte de la culture principale est une saine pratique, selon l’agronome Marie-Noëlle Thivierge. « Il y a de multiples avantages. Ces plantes vont tout d’abord absorber les éléments nutritifs résiduels qui seraient très à risque d’être perdus si le sol était à nu à l’automne et au printemps. Elles permettent aussi de séquestrer le carbone dans le sol, de mieux contrôler les mauvaises herbes qui ont moins de place pour s’installer et enfin, d’améliorer la vie microbienne souterraine. »

Des bénéfices environnementaux donc, mais aussi agronomiques, souligne pour sa part Jean-Philippe Laroche. « Cette couverture à l’automne diminue le lessivage des éléments nutritifs et ça permet en même temps d’aller chercher un rendement supplémentaire la saison suivante. »

Pour l’agronome Jean-Philippe Laroche, le producteur doit être conscient qu’une fauche automnale peut avoir un impact à long terme négatif sur sa prairie.
Pour l’agronome Jean-Philippe Laroche, le producteur doit être conscient qu’une fauche automnale peut avoir un impact à long terme négatif sur sa prairie.

Le message semble entendu, car selon les données de Statistique Canada, l’ensemencement de blé d’automne au Québec a quintuplé entre 2011 et 2018, passant de 4 200 hectares à 20 500 hectares. La culture de céréales d’automne exige cependant un sol en santé, particulièrement au drainage lors de la fonte des neiges au printemps.

La chercheure scientifique d’Agriculture Canada rappelle que les changements climatiques entraîneront des périodes de sécheresse plus fréquentes dans l’avenir. « Il faut alors développer des stratégies pour que nos cultures puissent s’enraciner plus profondément dans le sol afin d’aller puiser l’eau nécessaire à leur croissance. Les engrais verts et céréales d’automne permettent cela, car en se décomposant au printemps, les systèmes racinaires forment des biopores qui sont comme des chemins dans le sol que les racines des cultures suivantes emprunteront. »

Tous ces éléments contribuent à améliorer la structure du sol, le rendant plus perméable à l’eau. « Donc, moins de ruissellement en surface et une meilleure porosité, ce qui va favoriser toutes les cultures qu’on établira par la suite », poursuit l’agronome.

Des programmes disponibles

En grandes cultures, semée à la dérobée ou en intercalaire, la culture de couverture offre de multiples bénéfices comme de maintenir actifs les microorganismes du sol, mobiliser les éléments fertilisants, favoriser l’infiltration de l’eau au printemps et briser les cycles de certains ravageurs et maladies. Parallèlement, les cultures de couverture permettent d’économiser sur l’achat d’engrais et d’herbicides.

Désirant promouvoir les bénéfices de cette pratique auprès des producteurs, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) offre, par l’entremise du programme Prime-Vert, du financement pour développer des cultures de couverture ou mener des essais à la ferme. En vigueur jusqu’en 2023, une aide financière de 52,50 $ par hectare (67,50 $ pour les producteurs biologiques ou la relève agricole) est offerte dans le cadre du programme Pratiques et ouvrages de conservation des sols jusqu’à une concurrence de 3 000 $ par année. 

Bernard Lepage, collaboration spéciale