Forêts 31 mars 2021

Une coulée record qui réconforte

Trois des cinq acériculteurs suivis par La Terre rapportent une coulée hors du commun dans la nuit du 30 au 31 mars. Un déluge d’eau d’érable qui fait du bien au moral de ceux qui observent des signes inquiétants leur laissant croire que la fin de la saison des sucres approche déjà.

Michaël Gagné, Chaudière-Appalaches
Début de l’entaillage: 14 décembre
Première évaporation : 12 mars
Rendement en date du 31 mars : 2,45 lb/entaille
Objectif de rendement : 6 lb/entaille

« On avait eu une coulée que je croyais record cette semaine, mais celle qu’on vient d’avoir, je n’avais jamais vu ça de toute ma vie. C’est l’enfer combien il est entré d’eau de 22 h à 1 h du matin. Pas de joke, je séparais [avec l’osmose] 6 500 gallons d’eau à l’heure et je me faisais enterrer. C’est assez impressionnant », commente Michaël Gagné, qui détient 35 000 entailles avec sa conjointe à Saint-Jacques-de-Leeds. La voix traduisant la fatigue à la suite de cette nuit blanche, il raconte, en entrevue avec La Terre, que toute son équipe a dû faire preuve de débrouillardise pour ne pas perdre de l’eau durant cette nuit grandiose. « La pompe ne fournissait pas dans une station. On a décidé d’amener un camion-citerne et on a ajouté une pompe submersible dans le bassin pour pomper directement dans le camion. C’est dur sur les hommes quand ça coule plusieurs nuits de suite, mais il faut tout prendre ce qu’on peut; c’est là qu’on fait des livres à l’entaille », dit-il encore sous l’influence de l’adrénaline. Cette coulée monstre fait du bien à ses statistiques, car M. Gagné commence à croire qu’il n’atteindra pas son objectif.  « La chaleur précoce me fait penser à la saison 2012 qui avait été une catastrophe. On avait fini le 6 avril avec 1,9 lb à l’entaille », se remémore-t-il.


Karine Douville, Capitale-Nationale
Début de l’entaillage: 4 janvier
Première évaporation : 20 mars
Rendement en date du 31 mars : 2 lb/entaille
Objectif de rendement : 5 lb/entaille

« C’est une coulée miracle ! » s’exclame Karine Douville. « J’ai appelé mes gars à une heure du matin pour qu’ils viennent transporter de l’eau. J’ai fait le triple de voyage d’eau comparativement à d’habitude. J’ai un réservoir que je ne réussis jamais à remplir et hier, il a presque débordé tellement qu’il rentrait de l’eau. C’était incroyable », partage la propriétaire d’une érablière de 32 000 entailles située à Saint-Ubalde. Elle est aussi gestionnaire de l’érablière familiale qui en compte 80 000 au total. L’eau n’est pas très sucrée, remarque Karine Douville, avec une teneur en sucre entre 1,7 à 2,1 ºBrix. Elle s’attend cependant à produire un beau sirop clair avec l’eau de la nuit du 30 au 31 mars. Elle dit que certains voisins notent des odeurs de sève dans leur eau d’érable. « Tout le monde a peur que le temps des sucres finissent du jour au lendemain, mais je ne suis pas trop nerveuse; je n’ai pas des érablières extrêmement chaudes. J’y crois toujours à mon 5 lb/entaille », dit-elle avec assurance.


Mathieu Audy, Laurentides
Début de l’entaillage : mi-janvier
Première évaporation : 20 mars
Rendement en date du 31 mars: 1,4 lb/entaille
Objectif de rendement : 4,25 lb/entaille

« Ça coule en malade. Avant-hier, c’était ma plus grosse journée de bouillage. J’ai fait 14 barils et le déluge s’est poursuivi. Mes deux silos sont pleins depuis [le soir du 30 mars]. Mon osmose vire depuis plus de douze heures et ne fait que maintenir le niveau stable », décrit Mathieu Audy, qui s’est réveillé aux deux heures durant cette nuit épique pour vérifier le bon fonctionnement de son équipement. Les heures de sommeil sont rares, mais la frénésie du temps des sucres le tient debout. « Dommage que l’eau demeure vraiment peu sucrée. J’étais à 1,2 ºBrix. Ça n’a pas de sens! Mon plus haut était de 1,7 ºBrix », commente celui qui exploite 25 000 entailles en terres publiques à Sainte-Véronique. Il se croise aussi les doigts que la saison ne se termine pas trop vite, faisant remarquer qu’il n’y a plus de neige dans la majeure partie de son érablière, une situation que les gens du coin n’ont pas vue depuis 15 ans, rapporte-t-il.


Donald Ouellette, Bas-Saint-Laurent
Début de l’entaillage : mi-janvier
Première évaporation : 14 mars
Rendement en date du 31 mars : Plus d’une livre à l’entaille
Objectif de rendement : 5 lb/entaille

À Saint-Michel-du-Squatec, Donald Ouellette reçoit de l’eau sur une base régulière sans avoir de record. Il s’inquiète cependant de la tournure des évènements. « J’ai un feeling bizarre. C’est comme si la saison est avancée, mais on est juste à la fin mars. Je n’ai jamais vu ça en 25 ans. Je vois que l’érable a évolué. Et le taux de sucre, au lieu d’augmenter, il s’est mis à diminuer. Aujourd’hui [31 mars], il remonte. C’est encourageant. Mais quand il descend, c’est normalement le signe que la fin de la saison approche », analyse M. Ouellette, qui exploite 75 000 entailles en terres publiques. L’acériculteur est étonné de la vitesse à laquelle se déroulent les sucres, soulignant que plusieurs étapes d’évolution de la sève ont été « sautées ». La qualité du sirop produit le satisfait néanmoins. « Jusqu’à date, on a fait un beau sirop. Pas de l’extra clair, mais du clair. En étant plus au nord, et avec un peu de chance, on pourra continuer les sucres pendant une ou deux semaines », espère-t-il.


Megan Giguère, Montérégie
Début de l’entaillage : 20 janvier
Première évaporation : 12 mars
Rendement en date du 31 mars : 1,34 lb/entaille
Objectif de rendement : 4,25 lb/entaille

« Ça coule un peu moins, on ne sait pas si on va remplir notre quota », résume pour sa part Megan Giguère (au centre sur la photo), qui exploite avec son père 8 500 entailles à Sainte-Christine, en Montérégie. Ses voisins à la chaudière enregistrent des rendements encore plus difficiles, indique-t-elle. Lors de l’entrevue le 30 mars, elle savourait sa première grosse coulée de l’année, avec une production de près de 4 barils. « Mais les prévisions météo ne s’annoncent pas encourageantes. Si ça ne gèle plus, ce sera fini », se désole-t-elle. L’acéricultrice se sent en fin de saison, sans pour autant avoir vécu de milieu de saison. « Nous n’avons pas fait de sirop clair. Juste de l’ambré et du foncé. Et l’eau commençait à être blanchâtre; ça fait du sirop plus foncé », remarque-t-elle.