Actualités 3 septembre 2020

Quand moins, c’est mieux

Même s’il n’a plus l’attrait d’antan, le travail du sol à l’automne comptera toujours de nombreux partisans au Québec, car il s’agit d’une méthode éprouvée qui procure un sentiment de sécurité en prévision des résultats anticipés.

« Cela perdure dans le temps, car c’est une technique connue et prévisible », résume Stéphane Martel, analyste en agroenvironnement au MAPAQ. « Le défi dans le travail du sol, c’est de faire le minimum tout en ayant l’assurance d’obtenir des résultats parce que c’est bon pour l’environnement, bon pour le sol et bon pour mon portefeuille », lance pour sa part Peter Enright, professeur au Département de génie agricole et des biosystèmes à l’Université McGill.

« Au Québec, je dirais qu’il y a une tendance à travailler le sol moins en profondeur et à délaisser la charrue comme outil principal pour le labour », observe le chercheur qui s’intéresse à la santé des terres agricoles depuis des dizaines d’années. Le principe est simple : en remuant la terre tous les ans, les plantes du sol sont détruites ainsi que tous les micro-organismes qu’elles hébergeaient et qui leur servaient de nourriture durant la saison de croissance. « Chaque fois qu’on travaille le sol, on dérange cette vie biologique », prévient Peter Enright.

Il souligne que ce phénomène était déjà observé aux États-Unis, et dans une moindre mesure en Ontario. Un changement provoqué par la volonté des producteurs de contrer l’érosion des sols qui était devenu un problème majeur.

« Chez nous, les agriculteurs délaissent le travail conventionnel pour le travail réduit plus en raison de la question de compaction des sols et des problèmes de drainage qui s’ensuivent », précise Peter Enright. Dans les pratiques de conservation encouragées par les agronomes, le producteur qui recourt au travail réduit doit s’assurer de conserver un minimum de 30 % de résidus sur la surface du sol.

À chaque passage d'une machinerie dans un champ rappelle John Enright, cela entraîne des coûts pour l’équipement, les opérations, la main d’œuvre et finalement, la vie microbienne du sol.  Sur la photo, une charrue scarificatrice du fabricant John Deere. Photo : Gracieuseté John Deere
À chaque passage d’une machinerie dans un champ rappelle John Enright, cela entraîne des coûts pour l’équipement, les opérations, la main d’œuvre et finalement, la vie microbienne du sol. Sur la photo, une charrue scarificatrice du fabricant John Deere. Photo : Gracieuseté John Deere

Multiples facteurs en considération

Pour l’ingénieur agricole, en raison de nombreux facteurs en jeu, il serait hasardeux de décréter l’opportunité d’entreprendre ou non un travail du sol à l’automne à partir d’une simple règle. « La question des équipements par exemple. Si j’ai un semoir qui n’est pas très robuste, je devrai travailler mon sol à l’automne parce que le maïs aura laissé beaucoup de résidus. À l’inverse, la culture de blé en laisse très peu et je pourrai attendre au printemps pour un travail réduit ou un semis direct. »

Un sol argileux, lourd et mal drainé devrait être logiquement aussi propice à être entrepris dès la fin des récoltes, mais le chercheur rappelle en souriant la devise de l’agronome Odette Ménard, du MAPAQ. « Elle dit toujours à ses clients : « Je suis à l’aise si tu laboures de temps en temps, mais de temps en temps, c’est jamais! Elle conseille des producteurs à Saint-Hyacinthe qui travaillent dans des champs vraiment lourds et qui réussissent très bien avec le semis direct. »

Autre élément important à tenir en compte : la prochaine culture qui sera introduite le printemps suivant. « Si je plante une semence assez robuste comme le maïs à cinq cm dans le sol, je pourrais attendre au printemps. À l’inverse, si je sème de la luzerne qui est un semis vraiment petit et qui doit avoir un bon contact avec le sol, un peu de travail à l’automne pourra aider », nuance Peter Enright. « De même, si ça fait trois ans sur cinq que je sème du maïs et que je veux revenir avec une céréale, un bon travail en profondeur pour enlever la compaction est de mise. »

Le professeur à l’Université McGill note également que le travail du sol à l’automne peut être entrepris… en pleine été. « À Vaudreuil-Soulange, cette année, on a récolté le blé au début août. Alors dans la 2e et 3e semaine du mois, tandis que je n’ai pas d’autres opérations, c’est le temps de niveler le sol, mettre un peu de chaux, travailler ça en profondeur avec un chisel. Si on a la chance de travailler dans des conditions sèches comme en août et septembre, c’est mieux qu’en octobre et novembre où il y a beaucoup de chance que ce soit humide et boiteux dans le champ. »

Même si le semis direct ou le travail réduit demeurent toujours préférables à un travail en profondeur, il y a une réalité qui sera toujours présente selon Peter Enright. « Comme producteur, tu ne peux pas acheter toutes les machineries et tu ne peux pas être expert dans tous les équipements. Il faut que tu arrives à développer une approche dans laquelle tu es confortable et qui te donne l’assurance que ça va bien fonctionner la plupart des années », termine le chercheur. En ce sens, le travail du sol à l’automne n’a pas dit son dernier mot.

Travail ou non du sol à l’automne : les facteurs à considérer

  • Structure du sol
  • Quantité de résidus en surface
  • Niveau de drainage du sol
  • Culture implantée le printemps prochain
  • Conditions météorologiques à l’automne et au printemps
  •  Robustesse des équipements disponibles

Objectifs du travail du sol

  • Conditionner le sol pour un bon contact avec les semences
  • Augmenter la température du sol
  • Réduire la compaction
  • Augmenter l’infiltration
  • Économiser temps et carburant
  • Éviter la déstructuration du sol
  • Rotation des cultures

Bernard Lepage, collaboration spéciale