Actualités 1 juillet 2019

Un hiver dévastateur

Un été sec, un hiver précoce ponctué d’épisodes de verglas et qui s’est étiré en longueur et enfin, un printemps frais. C’est le cocktail météo désastreux qui a été servi aux producteurs de cultures fourragères du Québec en 2018.

« J’ai battu mes champs de maïs le 14 novembre en même temps que mon voisin faisait du ski de fond », explique Yanik Beauchemin, qui ajoute du même souffle qu’en 22 ans comme producteur, il n’a jamais vu un mois de mai aussi froid.

La Tournée des plantes fourragères du CRAAQ se déroule normalement à la fin du mois de mai avant que les champs ne soient récoltés une première fois.  À la place cette année, les participants ont pu voir  des plants qui émergeaient à peine de quelques  centimètres du sol.
La Tournée des plantes fourragères du CRAAQ se déroule normalement à la fin du mois de mai avant que les champs ne soient récoltés une première fois. À la place cette année, les participants ont pu voir des plants qui émergeaient à peine de quelques centimètres du sol.

L’agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec Fernand Turcotte renchérit en affirmant pour sa part n’avoir jamais été confronté à un hiver aussi dévastateur en 32 ans de carrière. Les averses de verglas qui se sont succédé durant la saison froide ont réduit le couvert de neige dans les champs, entraînant des gels en profondeur. Résultats : des milliers d’hectares en cultures fourragères perdues.

« Ce printemps, c’est comme si ma luzernière avait été passée au Roundup », compare Jean Rousseau, qui l’a réensemencée avec du maïs à ensilage. Le propriétaire de la Ferme Rhétaise, à Nicolet, n’est évidemment pas le seul à avoir dû réagir rapidement. Gilles et Éric Dionne, de la Ferme Gillène à Saint-Zéphirin-de-Courval, ont perdu 50 % de leurs champs de luzerne, qu’ils ont resemés avec du soya.

« On prévoyait réimplanter 6 acres de luzerne cette année, mais c’est finalement 55 acres qu’on devra faire pour pouvoir alimenter notre troupeau », lance Gilles Dionne. L’agriculteur explique aussi que devant la crainte de manquer de foin, il a semé son herbe de Soudan à la mi-mai, même si la température au sol n’était pas encore à 15 °C, niveau où le feu vert est donné. « Je ne serais pas supposé, mais ça prend du stock pour les vaches », se résigne-t-il.

Nécessité fait loi

À cause de la sécheresse de l’été 2018, plusieurs producteurs ont procédé à quatre coupes l’an dernier afin d’avoir suffisamment de foin pour l’hiver. « Habituellement, j’arrête à trois, mais là, mes bunkers à ensilage n’étaient pas pleins. Il a mouillé à l’automne et ça s’est mis à pousser. J’ai fait une quatrième coupe à la mi-octobre, mais j’en paie le prix ce printemps alors que ces champs-là ont brûlé », se désole Jean Rousseau. Dans la même situation, Yanik Beauchemin a quant à lui adopté le proverbe Nécessité fait loi. « J’ai moi aussi fait une quatrième coupe, mais je ne le regrette pas, car j’aurais manqué de foin pour passer l’hiver. »

À la Ferme Leblanco, à Saint-Léonard-d’Aston, les vaches de boucherie et les bouvillons sont habituellement emmenés dans les pâturages dès la mi-mai. Deux semaines plus tard, aucune bête n’était encore sortie de l’étable, alors que les plantes aux champs poussaient timidement à cause du manque de chaleur. « Il nous reste du foin pour deux semaines, explique Gabriel Leblanc, agronome, qui dirige la ferme avec ses frères Pierre-Luc et Jean-Philippe, agronomes eux aussi. C’est un stress qu’on n’a jamais eu à vivre jusqu’ici. »

Dans une parcelle de pâturage couverte de pissenlits, le jeune producteur bovin explique que la journée où il a procédé à un vasage du champ au printemps, la neige s’est mise à tomber. « Je ne sais pas ce que ça va donner », poursuit celui qui fait brouter ses vaches et ses veaux dans les enclos dès que le couvert végétal atteint 12 pouces avant de les faire ressortir à 4 pouces.

Devant l’intervention d’un agronome suggérant l’utilisation du dactyle, la plante d’urgence à privilégier pour rénover une prairie dévastée parce qu’elle réussit à s’implanter sur un couvert végétal, les frères Leblanc écoutent attentivement.

« Mais c’est une plante moins résistante au gel que la fétuque, le mil ou le brome », poursuit le professionnel.

Décidément, il n’y en aura pas de facile pour les agriculteurs, qui sont plus que jamais confrontés aux conséquences des changements climatiques. 

Bernard Lepage