Actualités 8 juillet 2021

Dans les coulisses de l’amélioration génétique

SAINT-HUGUES – De la planche à dessin jusqu’aux premières semailles chez le producteur de grains, plus de 10 ans de travail sont nécessaires pour qu’un nouveau cultivar de céréale soit récolté commercialement. Une petite éternité durant laquelle des centaines de croisements seront minutieusement effectués et testés pour en arriver à une variété nouvelle répondant aux exigences des agriculteurs et des consommateurs. Une sélectionneure nous explique les grandes étapes de ce travail de moine.

S’adapter à un monde en changement

En agriculture, l’amélioration génétique des végétaux répond à plusieurs besoins. « De nouveaux cultivars seront toujours nécessaires puisque le monde vit des changements continuels, que ce soit les conditions climatiques, l’apparition de nouvelles maladies ou encore les préférences des agriculteurs ou des consommateurs. Pour qu’un cultivar soit bon, il doit satisfaire aux besoins de tous les maillons de la chaîne », énonce d’emblée Annie Archambault, sélectionneure chez Céréla, une entreprise basée en Montérégie qui développe des variétés non génétiquement modifiées (GM) de blé, d’orge, d’avoine, de chanvre industriel et de soya.

La biologiste de formation précise qu’il n’y a pas de meilleure variété en soi, mais que certaines variétés conviennent mieux à une situation donnée. « Par exemple, pour l’Est-du-Québec, on cherchera des variétés plus hâtives, tandis que dans une autre région, c’est la résistance à la sécheresse qui sera recherchée. »

Une employée de Céréla prépare des échantillons d’ADN de chanvre en vue d’ajouter le marqueur moléculaire.
Une employée de Céréla prépare des échantillons d’ADN de chanvre en vue d’ajouter le marqueur moléculaire.

Générer de la variété génétique

Dans la sélection dite « classique » d’une nouvelle variété, la première étape fondamentale consiste à générer une diversité génétique dans un ensemble de plants, mentionne Annie Archambault en nous ouvrant la porte de la serre de croisements de l’entreprise. « C’est ici que le travail commence. »

Pour arriver à obtenir cette diversité, la sélectionneure fait des croisements entre deux variétés qui ont des traits complémentaires. Ainsi, on peut utiliser une variété (A) de blé très résistante à la fusariose qui présente une hauteur et un rendement moyens avec une autre variété (B) peu résistante à cette maladie, mais qui offre un bon rendement. « Ce n’est pas nécessairement facile à réaliser, car parfois, la variété qui nous intéresse se trouve à l’autre bout du monde! » fait-elle observer.

Puisqu’en temps normal, la plante de blé s’autoféconde, il faut forcer le croisement entre les deux variétés avec lesquelles on souhaite travailler. Autrement dit, on pollinisera de façon manuelle la fleur du parent A avec le pollen du parent B, de façon à ce que les graines de la prochaine génération (F1) soient constituées de portions des génomes de ses deux parents. À cette étape-ci, l’équipe de Céréla peut facilement réaliser 200 croisements entre les diverses variétés parentales.

Une fois que la F1 arrive à maturité, les épis sont récoltés, puis semés dans une parcelle expérimentale pendant environ cinq générations, « question de laisser la nature faire son œuvre », commente Annie Archambault. Pendant cette durée, les plants de blé s’autoféconderont de nouveau. « Après quelques générations, chaque descendant de ces croisements aura un petit air de famille, mais avec des traits distincts des autres. »

Dans la serre de croisements, un nouveau projet d’orge à deux rangs destiné au marché brassicole se met en branle.
Dans la serre de croisements, un nouveau projet d’orge à deux rangs destiné au marché brassicole se met en branle.

Observer et sélectionner

Environ cinq générations plus tard, on peut commencer à s’attaquer à l’étape de la sélection. Les graines issues de chaque croisement (ou lignées candidates) seront semées dans des parcelles distinctes pour fins d’observation. « On cherche à déterminer quelles sont les meilleures lignées candidates pour atteindre notre but », poursuit-elle.

Annie Archambault dispose de plusieurs méthodes pour l’aider dans son travail, comme un analyseur de grains en proche infrarouge qui permet d’estimer le pourcentage de protéines ou le taux de gluten. « On peut également semer des lignées candidates dans des parcelles ayant un historique d’une maladie donnée pour mesurer le degré de résistance à celle-ci. »

Pour repérer une caractéristique en particulier parmi les lignées candidates, le marquage moléculaire peut s’avérer des plus utiles. Cette procédure en laboratoire consiste à l’ADN d’un plant, puis révéler des séquences spécifiques, qui sont liées à des traits d’intérêt. « Dans le cas d’une nouvelle variété de chanvre par exemple, il est très important que le taux de THC soit très bas. En utilisant un marqueur moléculaire, on peut ­repérer à un jeune stade les lignées candidates qui nous ­intéressent », illustre-t-elle.

Essais agronomiques

Lorsqu’une lignée candidate possédant les traits recherchés est identifiée – plus ou moins à la génération F7 –, celle-ci est isolée des autres descendants et fera l’objet d’essais agronomiques pour une durée de un à trois ans. « On peut évaluer à cette étape le rendement à maturité sur un site particulier, avec des parcelles témoins. Si on dispose d’assez de semences, on fera les mêmes essais sur d’autres sites pour comparer les résultats », commente la sélectionneure de Céréla.

Processus réglementaire

En plus de devoir se conformer aux exigences réglementaires de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), le dossier d’un nouveau cultivar est ensuite soumis à l’étude d’un comité des Réseaux Grandes cultures du Québec (RGCQ) qui examine la performance de la lignée candidate lors des essais approuvés par le comité.

La plupart du temps, ce n’est qu’une fois le nouveau cultivar enregistré que la production de semences à plus large échelle peut commencer par l’entremise d’un partenaire commercial. « Encore là, il peut y avoir des délais le temps que les producteurs de semences et le distributeur se familiarisent avec la variété avant que celle-ci soit vendue aux producteurs de grains en régie conventionnelle ou biologique, nuance Annie Archambault. Considérant qu’il s’agit d’un processus assez long, on doit mener plusieurs projets de fronts à la fois. »

Part de risque

On devine qu’anticiper les besoins des agriculteurs et des consommateurs dans 10 ans n’est pas une mince affaire! Néanmoins, un constat demeure : l’agriculture sera toujours à la recherche de meilleurs cultivars, estime Pierre Lanoie, directeur du développement des affaires chez Céréla. « Oui, le rendement reste l’élément central, mais les gens recherchent de plus en plus une meilleure tolérance aux maladies et une plus grande facilité de battage. Pour de nouveaux produits, il faut de la recherche, même si c’est au risque de travailler plusieurs années pour arriver à des produits qui, parfois, ne sont pas compétitifs, ce qui explique pourquoi il y a si peu de petits acteurs privés. Néanmoins, on tire notre épingle du jeu en étant agiles et concurrentiels. »

Céréla aux portes de l’Europe

Si les cultivars développés par l’entreprise, qui sont distribués sous licence par des semenciers, se retrouvaient jusqu’ici principalement au Québec et dans certaines régions de l’Amérique du Nord, ceux-ci pourraient trouver dans un proche avenir de nombreux débouchés de l’autre côté de l’Atlantique. « Plusieurs variétés développées par Céréla sont à l’essai dans certains pays de l’Union européenne, en Ukraine, au Kazakhstan et en Russie étant donné que leurs conditions géographiques sont similaires à l’Ouest canadien », indique Pierre Lanoie, directeur du développement des affaires de l’entreprise. « Comme ces marchés veulent des cultivars non GM, cela devient très intéressant pour nous. On aura sans doute des nouvelles à annoncer l’an prochain! »