Alimentation 19 juillet 2017

Bien cueillir les produits comestibles de la forêt

LANAUDIÈRE — La verdure sort enfin de terre. En raison de la popularité de la cuisine nordique, le nombre de cueilleurs de plantes sauvages comestibles se multiplie.

François Brouillard, de la table champêtre Les Jardins sauvages, de Saint-Roch-de-l’Achigan, met en lumière les meilleures pratiques de cueillette en vue de préserver la ressource.

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Tout comme son père et son grand-père l’ont fait avant lui, François Brouillard court les bois depuis 30 ans pour cueillir champignons, asclépiades, têtes de violon et autres délices de la forêt. Il voit énormément de déforestation et note que l’engouement pour les plantes sauvages comestibles n’a pas que des côtés positifs.

« C’est préoccupant tous ces gens qui s’improvisent cueilleurs et qui font n’importe quoi. Certains se comportent comme des pilleurs et font de véritables saccages, et parmi eux, il y a de grosses compagnies bien connues », dit François Brouillard, qui ne veut cependant nommer personne.

Le coureur des bois raconte que des hectares de baies de genévrier utilisées pour la bière et le gin, et de thé du Labrador destiné à concevoir des produits de beauté ont été rasés, même jusque sur des terres privées, sans espoir de régénération pour les plantes.

« Le code d’éthique du cueilleur, ça commence par le respect. Il faut se voir comme un jardinier forestier. Ne pas faire que du prélèvement, mais aussi entretenir les talles. Le but, c’est de pouvoir revenir plus tard et qu’il y en ait encore, et même qu’il y en ait plus. »

Laisser sur place les racines des plantes ou le mycélium des champignons est un principe de base, tout comme ne pas toucher les plantes en voie de disparition, mais il faut plus encore pour devenir un bon cueilleur.

Vocation : jardinier forestier

Les plantes sauvages n’ont pas besoin d’engrais ni de pesticides puisqu’elles vivent dans leur habitat naturel, mais on peut stimuler leur croissance. « Couper la tête de certains végétaux comme le brocoli rend le plant plus fourni. On enlève la première tête et ça donne ensuite un bouquet. Pour d’autres plantes comme les tomates, on prélève les drageons ou on taille les branches pour que ces dernières se dédoublent. »

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Il y a une façon de tailler chaque plante ainsi qu’un moment pour le faire. Cet univers de savoir, François Brouillard l’a acquis de ses ancêtres et sur le terrain.

« Il faut cueillir le pissenlit par temps frais et nuageux, car le soleil fait monter la sève, ce qui rend son goût amer. Pour d’autres plantes, c’est l’inverse. On les ramasse en plein soleil pour que les principes actifs soient présents au maximum. »

Pour assurer la pérennité de la ressource, on peut également donner aux plantes le temps de grandir et laisser des fleurs pour la pollinisation ou des feuilles pour permettre la photosynthèse.

Un milieu qui s’organise

Il est urgent d’encadrer la cueillette afin d’éviter les saccages, pense François Brouillard. « La mode de la cuisine nordique est arrivée tellement vite; on n’était pas prêts. Les formations qui existent sont très théoriques. C’est bien beau de savoir qu’un bolet a 3 498 pores, mais ce n’est pas ça qui fait de bons cueilleurs. Il faut sentir, toucher et comprendre la nature. » Le pire, selon François Brouillard, ce sont les cueilleurs qui se forment sur Internet, où un peu n’importe quoi circule comme information.

Sans parler d’interdiction ou de réglementation, l’Association pour la commercialisation des produits forestiers non ligneux (ACPFNL) souhaite que la pratique soit encadrée, que des permis soient délivrés et que des quantités maximums soient établies pour la cueillette de certaines plantes. « Le but, ce n’est pas d’envoyer des gens en prison. Il faut aussi leur permettre de manger et de se nourrir par eux-mêmes. On ne veut donc pas plus d’interdictions, comme c’est le cas par exemple avec l’ail des bois », dit François Brouillard.

Parmi les espèces dont la cueillette devrait être encadrée, il note les têtes de violon, le thé du Labrador, la salicorne, le persil de mer, le gingembre sauvage et le genièvre.

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Les Jardins sauvages

Fleurs sauvages, baies et petits fruits, herbes aromatiques, champignons et gibier, la gastronomie forestière est à l’honneur depuis 30 ans à la table des Jardins sauvages de François Brouillard et de sa chef Nancy Hinton, qui vendent également les produits de leurs cueillettes au Marché Jean-Talon ainsi qu’à certains restaurateurs.

Gagnants de nombreuses récompenses au fil des ans, ils ont entre autres remporté le prix Renaud-Cyr en 2012 pour leur contribution remarquable à la culture culinaire du Québec, le prix Héros canadiens de l’alimentation 2015 et l’Or au Good Food Innovation Awards 2016.

Par Geneviève Quessy, collaboration spéciale