Actualités 18 octobre 2020

Un système de récupération du lixiviat pour un ensilage de qualité

Chaque année, Steve Amesse était confronté à un problème d’acidité dans son ensilage qui nuisait à la santé de son troupeau. C’est maintenant affaire du passé depuis qu’un inventeur québécois a installé dans ses silos un système de captage du lixiviat qui prévient la contamination.

Le système installé à la Ferme Amesse fait en sorte que tout le lixiviat est évacué du silo, au lieu de contaminer l’ensilage et d’endommager la structure.
Le système installé à la Ferme Amesse fait en sorte que tout le lixiviat est évacué du silo, au lieu de contaminer l’ensilage et d’endommager la structure.

Le producteur laitier de Saint-Timothée se souvient très bien de l’époque pas si lointaine où l’accumulation de « jus » à la base de son silo-tour acidifiait son ensilage. « Avant, quand je vidais mon silo, se remémore M. Amesse, je voyais déjà venir la fin vers les trois ou quatre dernières portes parce que l’ensilage devenait de plus en plus acide et empestait. »

Résultat : sa ferme connaissait chaque été au moins deux à trois cas d’acidose. « L’appétit tombait et la production de lait chutait. Il fallait mettre les vaches au foin sec avant de leur redonner de l’ensilage avec du bicarbonate de soude. On perdait un mois de production, raconte le producteur qui estime à 1000 $ les pertes encourues par vache malade. Dans certains cas extrêmes, on a perdu des vaches parce qu’elles ne mangeaient plus assez pour produire. »

En 2016, un inventeur et entrepreneur de sa région, Bertrand L’Espérance, lui a proposé d’installer un système de captage et de stockage du lixiviat d’ensilage qu’il venait de mettre au point. Ce fut pour lui un grand progrès. « Maintenant, l’ensilage est bon jusqu’à la dernière brouette. Tu peux mettre les mains dedans et il ne dégage plus de mauvaise odeur », témoigne Steve Amesse, qui affirme que depuis l’installation de ce système, plus aucune vache n’a souffert d’acidose.

Bertrand L’Espérance, qui commercialise sa technologie sous le nom de Néthasol, explique que son système permet de capter le lixiviat dans des caniveaux au lieu de le laisser s’accumuler à la base du silo et de percoler dans le sol. « Le lixiviat est acheminé dans un tuyau isolé vers une fosse, puis il est pompé dans un réservoir mobile. Le producteur peut alors ajouter le lixiviat dans sa fosse à lisier et s’en servir comme fertilisant puisqu’il est très riche en phosphore, en azote, en potassium et en calcium », explique-t-il en s’appuyant sur des analyses de laboratoire dont La Terre a obtenu copie. 

Un problème sous-estimé

Si en théorie, un ensilage entre 60 et 70 % d’humidité ne devrait générer que très peu d’écoulement, les données recueillies sur le terrain par Bertrand L’Espérance indiquent tout le contraire. Pour prouver la validité de sa technologie, l’inventeur a construit à ses frais neuf systèmes chez cinq producteurs en prenant soin de mesurer la quantité de lixiviat capté dans chaque silo. Selon ses observations, les silos-tours ont généré une moyenne de 20 000 à 50 000 litres de lixiviat annuellement selon leur taille et le pourcentage en eau de l’ensilage. « Même quand les producteurs ont ensilé sous les 60 % d’humidité, tous les réservoirs se sont remplis. Ça m’amène à penser que les quelque 14 000 silos des fermes laitières au Québec produisent une quantité phénoménale de lixiviat », soutient l’entrepreneur.

Selon Bertrand L’Espérance, le lixiviat récupéré ­pourrait être transformé en ­pesticides, en engrais ou en alcool.
Selon Bertrand L’Espérance, le lixiviat récupéré ­pourrait être transformé en ­pesticides, en engrais ou en alcool.

Steve Amesse, qui avoue avoir été sceptique au début, se range du côté de l’inventeur. « Deux ans après la modification de mon premier silo, j’ai accepté que Bertrand vienne installer des capteurs sur mes deux autres silos à foin. Je croyais que je n’avais pas de problème d’écoulement jusqu’à ce qu’on fasse les travaux. Au moment de creuser, un geyser de jus est sorti du gravier et il a fallu appeler un camion de pompage! Le fait de ne pas voir d’écoulement à l’extérieur du silo ne signifie pas l’absence de problème. » Le producteur laitier précise par ailleurs que la situation n’est pas due à un taux d’humidité d’ensilage trop élevé puisqu’il suit les recommandations de sa nutritionniste.

Enjeu environnemental

Selon Bertrand L’Espérance, cet important volume de « jus d’ensilage » produit par les silos percole dans le sol jusqu’à la nappe phréatique ou finit dans les cours d’eau. « En sachant qu’un seul litre de lixiviat peut contaminer jusqu’à 40 000 litres d’eau, il ne faut pas se surprendre si les rivières près de Saint-Hyacinthe et de Drummondville sont les plus polluées au Québec. Je ne cherche pas à blâmer personne, mais il faudra reconnaître tôt ou tard que les silos ont été conçus sur des bases scientifiques erronées. »

L’entrepreneur, qui souhaiterait que le MAPAQ adopte une norme environnementale en faveur du captage du lixiviat comme c’est le cas pour le lisier, croit que les producteurs pourraient y gagner au change. « Au lieu de jeter le lixiviat dans l’environnement, il pourrait être utilisé en tant que matière première et servir à créer des fertilisants, des pesticides, de l’alcool ou des médicaments. Son potentiel commercial est énorme. »

Le MAPAQ demeure prudent 

Le MAPAQ confirme avoir rencontré à quelques reprises Bertrand L’Espérance concernant son système. Toutefois, seul le ministère de l’Environnement a le pouvoir d’adopter une norme environnementale précise en faveur du captage de lixiviats. « Le MAPAQ n’a pas de positionnement officiel sur l’ensilage et laisse aux conseillers agricoles le soin de faire des recommandations en ce sens, affirme Mélissa Lapointe, relationniste de presse. Le MAPAQ considère qu’il est souhaitable que les producteurs soient sensibilisés sur les bonnes pratiques d’ensilage permettant de réduire la production de lixiviats qui peuvent avoir des impacts négatifs sur l’environnement, mais également sur la structure du silo et la santé du troupeau. » 

Par ailleurs, le MAPAQ rappelle que le Programme Prime-Vert 2018-2023 propose aux entreprises agricoles une aide pouvant atteindre 125 000 $, par l’entremise de la mesure Infrastructures et équipements de gestion des résidus végétaux et des eaux usées, qui permet « de soumettre une solution élaborée par un ingénieur pouvant inclure un système de gestion des lixiviats d’ensilage, tel que celui proposé par Néthasol ».