Actualités 4 décembre 2021

Les probiotiques pour améliorer la santé et la survie des abeilles

L’industrie apicole québécoise fait face à des pertes hivernales moyennes de colonies d’abeilles domestiques variant entre 16 et 34 % depuis 2007. Certains hivers, les apiculteurs québécois perdent plus de 30 % de leurs colonies, soit le double du seuil acceptable de 15 %.

Ces pertes élevées ont d’importantes répercussions sur la rentabilité des entreprises apicoles ainsi que sur la pérennité des services de pollinisation de nombreuses cultures d’importance au Québec (pommes, bleuets, canneberges).

Les principales causes des mortalités

De nombreuses causes sont soulevées pour expliquer ces pertes annuelles élevées, et le consensus scientifique veut que ce soit une combinaison de facteurs et l’accumulation de ceux-ci qui mettraient en péril la survie des colonies. Certains de ces facteurs sont impossibles à prédire ou à contrôler, comme c’est le cas pour des conditions météorologiques défavorables. Des pluies abondantes, un gel tardif ou encore une sécheresse prolongée peuvent en effet affecter la disponibilité des ressources en nectar et en pollen pour l’abeille et avoir un impact sur la probabilité de survie de la colonie. Parmi les éléments les plus souvent mis en cause dans les mortalités élevées des abeilles de la dernière décennie, on retrouve entre autres la nutrition déficiente de l’abeille due à l’appauvrissement de la diversité végétale, ainsi que l’exposition aiguë et chronique à certains pesticides utilisés en apiculture et en agriculture. Les différents prédateurs et maladies de l’abeille sont également un facteur déterminant dans la santé et la survie des colonies durant la saison apicole active ou encore durant la période d’hivernage.

L’impact des maladies, parasites et prédateurs

Plusieurs maladies, parasites et prédateurs sont susceptibles d’affecter le développement, la productivité et la survie des abeilles. L’acarien prédateur Varroa destructor est une des menaces apicoles les plus importantes partout dans le monde. L’acarien, en se nourrissant directement sur la larve d’abeille en développement ou sur l’abeille adulte, réduit son espérance de vie et diminue sa réaction immunitaire tout en lui transmettant de nombreux virus qui affaiblissent la colonie. Une autre maladie répandue chez l’abeille domestique, mais beaucoup moins connue, est la nosémose. Cette maladie est causée par une microsporidie (Nosema spp.) qui infecte le système digestif de l’abeille et s’y reproduit. Les abeilles se contaminent facilement entre elles par l’entremise des fèces et leur digestion est affectée et peut mener l’abeille à une mort précoce. De plus, les signes cliniques de l’infection ne sont pas toujours observables, étant donné que les deux souches principales de nosémose, Nosema apis et Nosema ceranae, présentent des symptômes différents.

L’incidence de cette maladie est plus grande à la suite d’un long hiver sans possibilité pour les abeilles de voler et de déféquer, ce qui favorise l’accumulation de spores dans l’intestin. Les traitements homologués pour traiter la nosémose sont des antibiotiques (Fumagiline B et Fumidil B). Malheureusement, l’utilisation de ces antibiotiques ne représente pas une solution durable, puisque les espèces de Nosema peuvent présenter différents degrés de résistance à ces traitements, ainsi qu’une efficacité réduite.

Les probiotiques pour lutter contre les infections

Depuis quelques années, les chercheurs Nicolas Derome et Pierre Giovenazzo, de l’Université Laval, en collaboration avec le Centre de recherche en sciences animales de Deschambault et Lallemand inc., proposent une solution de rechange à l’utilisation de ces antibiotiques afin de préserver l’équilibre de la flore microbienne des abeilles affectées par la nosémose : les probiotiques. Bien que les bactéries et levures bénéfiques aient fait leurs preuves en alimentation humaine et animale, ce n’est que plus récemment que l’industrie apicole s’est intéressée à leur potentiel comme moyen de mitiger l’impact de certaines maladies touchant l’abeille domestique. Dans l’étude d’El Khoury et coll. 2018, le potentiel de deux probiotiques commerciaux (Bactocell et Levucell SB) et de deux souches bactériennes isolées directement de l’intestin d’abeilles adultes (Parasaccharibacter apium et Bacillus sp.) a été évalué en contexte d’infection par la nosémose. Les probiotiques ont été administrés à des groupes de 20 abeilles en cagettes avant (prophylactique) et après une infestation (curatif) avec des spores de Nosema. Les quatre probiotiques, administrés en prophylaxie ou en curatif, ont montré une augmentation de 20 à 30 % de la probabilité de survie des abeilles infectées par la nosémose.

De plus, une suite au projet, où les probiotiques étaient administrés à des colonies d’abeilles entières avant l’hiver, a favorisé l’augmentation de la population des colonies au printemps, un élément clé de la production apicole québécoise autant pour la pollinisation que pour la production de miel.

Ces résultats montrent le potentiel d’utilisation des probiotiques dans un contexte de lutte intégrée aux parasites et prédateurs de l’abeille domestique. La réduction de l’utilisation de pesticides de synthèse et d’antibiotiques et la diversification des moyens de lutte contre les principaux ennemis de l’abeille permettent de réduire l’impact sur la santé et la survie de l’abeille et de tendre vers une apiculture plus durable.

Andrée Rousseau, chercheure en sciences apicoles, Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD)