Actualités 18 juin 2018

Coup de pouce à dame Nature

SAINT-MARC-SUR-RICHELIEU – Lorsque Yvan Lussier et Chantal Picard voient des hirondelles rustiques virevolter dans les airs, ils sont aux oiseaux. Grâce à la fibre écologique de ces producteurs laitiers, les jolis volatiles pourront continuer à annoncer le printemps. Le couple a pris les grands moyens pour faire de la Ferme du Coin-Rond un habitat accueillant pour cette espèce aujourd’hui menacée.

Moustache poivre et sel et casquette vissée sur la tête, Yvan Lussier désigne d’un air satisfait la construction de bois qui a toute l’apparence d’une cabane pour enfants, située au bout de son champ, tout près du ruisseau Belœil. « C’est le nichoir. Les hirondelles vont avoir en masse de mouches pour se nourrir ici. » 

Cette structure de nidification faite de bois reproduit l’intérieur d’un ancien bâtiment agricole, lieu de prédilection des hirondelles rustiques, communément appelées « hirondelles de grange ». Le nichoir est destiné à remplacer un vieux hangar où plusieurs couples ont élu domicile. « Le hangar barrait le chemin à la batteuse, alors j’ai dû en démolir une partie, mais ça me faisait mal au cœur de devoir tout mettre à terre en voyant les nids », raconte-t-il.

Yvan Lussier et Chantal Picard, deux producteurs laitiers de Saint-Marc-sur-Richelieu et amateurs d’observation d’oiseaux, participent à quelques projets de conservation. Sur la photo, le couple se trouve près d’un nichoir à hirondelles bicolores. Crédit photos :  David Riendeau
Yvan Lussier et Chantal Picard, deux producteurs laitiers de Saint-Marc-sur-Richelieu et amateurs d’observation d’oiseaux, participent à quelques projets de conservation. Sur la photo, le couple se trouve près d’un nichoir à hirondelles bicolores. Crédit photos : David Riendeau

À l’automne 2016, le regroupement QuébecOiseaux a proposé aux propriétaires de la Ferme du Coin-Rond de fabriquer un grand nichoir susceptible d’abriter huit couples. Les producteurs laitiers attendront encore quelques saisons avant de démanteler le hangar, le temps que les hirondelles fassent la transition. 

« Avant de repartir vers le Sud, les hirondelles font leur repérage pour trouver un emplacement où nicher le printemps suivant, explique le biologiste Stéphane Lamoureux, responsable du volet conservation à QuébecOiseaux. Il faudra patienter de trois à cinq ans avant qu’elles s’installent, considérant l’aspect inusité de la structure. »

Yvan Lussier retardera de quelques années la démolition d’un vieux hangar,  le temps que les hirondelles rustiques fassent la transition vers cette structure aménagée pour elles.
Yvan Lussier retardera de quelques années la démolition d’un vieux hangar, le temps que les hirondelles rustiques fassent la transition vers cette structure aménagée pour elles.

Une espèce en difficulté

La participation de la Ferme du Coin-Rond à ce projet est un bel exemple à suivre, affirme le biologiste. « Les hirondelles rustiques dépendent largement des constructions bâties par l’homme pour faire leurs nids. La conservation de leur habitat est par conséquent critique pour la survie de l’espèce », souligne-t-il. Au Québec, la population des hirondelles rustiques a chuté de 90 % entre 1970 et 2014. Elles sont menacées de disparition à l’échelle du pays.

Il faut savoir qu’avec l’utilisation du polychlorure de vinyle (PVC) et de l’aluminium dans la construction des nouveaux bâtiments agricoles, les hirondelles rustiques ne sont plus en mesure d’y fixer la boue avec laquelle elles fabriquent leurs nids. L’espèce est donc confrontée à une importante perte d’habitat, en plus de pâtir d’une diminution considérable de ses stocks de nourriture avec l’utilisation massive d’insecticides dans les cultures.

Pourtant, les agriculteurs auraient tout à gagner en accueillant des hirondelles rustiques, insiste le biologiste. « De façon générale, les oiseaux ont besoin de beaucoup de protéines en période d’élevage. Ceux-ci sont portés à consommer davantage d’insectes nuisibles aux agriculteurs… comme quoi la nature est bien faite. » 

Voici à quoi ressemble l’intérieur de la structure de nidification construite par QuébecOiseaux. Elle permet l’arrivée d’un minimum de huit couples.
Voici à quoi ressemble l’intérieur de la structure de nidification construite par QuébecOiseaux. Elle permet l’arrivée d’un minimum de huit couples.

Des producteurs soucieux de l’environnement

Yvan Lussier et Chantal Picard sont conscients du rôle positif qu’ils peuvent jouer pour la biodiversité de leur coin de pays. En plus de pratiquer le semis direct et la culture de couverture avec engrais verts, la Ferme du Coin-Rond abrite depuis 2005 plusieurs nichoirs pour les hirondelles bicolores dans le cadre d’un projet de recherche de l’Université de Sherbrooke. Les propriétaires de l’exploitation ont également aménagé des haies d’arbustes pour créer un corridor naturel entre le ruisseau Belœil et le boisé de Verchères. Avec l’aide du club Pro-Gestion, Yvan et Chantal ont accueilli en 2016 des nichoirs à chauves-souris et ont laissé des bandes de fleurs sauvages à l’usage des insectes pollinisateurs. Présentement, ils poursuivent leurs efforts afin de végétaliser à nouveau les quelque huit kilomètres de bandes riveraines qui sillonnent leur propriété. « On le fait pour la planète. On voit que les populations d’oiseaux baissent partout. Si on peut aider à ce que la nature retrouve ses droits ici, c’est notre paye », lance Chantal.
Le couple de producteurs se félicite du chemin accompli. « Il y a plus d’animaux de la faune dans les parages qu’auparavant, remarque Yvan. On voit des couleuvres, des grenouilles, des visons et des renards. On a même observé des perdrix grises et des pics flamboyants, des espèces qu’on ne voyait pas ici auparavant. Et avec la présence des hirondelles, j’ai moins de mouches! »  

Des actions concrètes

Autrefois communs dans nos campagnes, des oiseaux tels que les hirondelles rustiques, les goglus des prés, les hiboux des marais et les merles bleus de l’Est ont connu un déclin inquiétant en raison du passage de l’agriculture à un mode intensif. « Plusieurs gestes simples peuvent être posés par les producteurs, ne serait-ce que de conserver les chicots, les vieilles clôtures et les arbres solitaires dans leur ferme, rappelle Stéphane Lamoureux. Un seul arbre devient un écosystème. » Le regroupement QuébecOiseaux a rédigé un guide de recommandations à l’usage du milieu agricole sur le sujet.

David Riendeau, journaliste