Grandes cultures 19 février 2023

Ver-gris occidental du haricot au Québec : état de la situation et gestion intégrée

Le ver-gris du haricot, communément appelé VGOH, est un insecte ravageur dont les larves se nourrissent de grains de maïs. Un premier article publié dans la revue Grains en 2018 traitait de la biologie du VGOH. À la suite de la réalisation de divers projets de recherche, une mise au point s’impose sur la situation concernant cet insecte au Québec et quelques-unes des méthodes de gestion intégrée qui peuvent être envisagées.

État de la situation

Depuis 2018, les populations et l’aire de distribution du VGOH ont augmenté. Le Réseau d’avertissements phytosanitaires (RAP) Grandes cultures, le RAP Maïs sucré et plusieurs compagnies ont poursuivi les efforts pour suivre les populations de papillons en installant chaque année une centaine de pièges à phéromones à travers la province. Installés de la fin juin à la mi-août, ces pièges permettent de capturer des papillons mâles. Un relevé hebdomadaire permet de déterminer où et quand les insectes sont présents et de suivre l’évolution des populations. Ces piégeages ont mis en évidence l’augmentation des captures de papillons au Québec, l’année 2022 ayant été une année record avec des moyennes hebdomadaires plus importantes que les années précédentes. Le suivi des populations de VGOH a permis d’établir que le pic de captures a généralement lieu entre la fin juillet et le début août. 

Si les captures de papillons augmentent, c’est qu’ils sont peut-être plus nombreux à être portés annuellement par les vents du centre des États-Unis ou de l’Ontario jusqu’au Québec. Toutefois, une étude récente menée par le CÉROM a démontré que le VGOH est capable de survivre sous nos latitudes et d’y compléter son cycle de développement (Saguez et coll. 2021). Par conséquent, des populations locales de VGOH pourraient contribuer à l’augmentation des populations observées ces dernières années.

La surveillance de ce ravageur ne s’arrête pas au comptage des papillons. En effet, comme les papillons ne sont pas dommageables pour les cultures, que seuls les mâles sont capturés et que les femelles choisissent leurs sites de ponte, les interventions phytosanitaires ne peuvent pas être basées sur les décomptes de papillons. La méthode habituellement utilisée pour déterminer si une intervention est nécessaire est le dépistage des masses d’œufs et des jeunes larves sur les plants de maïs. Il est réalisé à partir du moment où le maïs commence sa floraison (sortie des croix) et que les papillons sont actifs. Le dépistage des masses d’œufs a lieu au moins une fois par semaine pendant toute la durée d’activité des papillons. Au Québec, le seuil d’intervention actuellement utilisé est le même que celui utilisé aux États-Unis et en Ontario, soit un seuil cumulatif de 5 % dans le maïs-grain et fourrager. Ce seuil peut être de 8 % si des ennemis naturels sont observés lors des dépistages de masses d’œufs.

Chaque année, au Québec, une cinquantaine de champs font l’objet d’un dépistage des masses d’œufs par le RAP Grandes cultures. Dans environ la moitié des champs, aucune masse d’œufs n’est observée et rares sont les champs qui dépassent le seuil de 5 % de plants infestés. Toutefois, il semblerait y avoir des foyers d’infestation au Québec. Ainsi, certains champs situés en Outaouais et en Montérégie ont atteint des seuils supérieurs à 30 % d’infestation dans les dernières années. Le CÉROM mène actuellement un projet pour déterminer les facteurs qui pourraient expliquer ces différences d’infestations d’un champ à l’autre. Parmi les facteurs prépondérants, il a été constaté que des sites avec un sol sableux et des champs où la croissance du maïs est inégale ont souvent des taux d’infestation plus élevés. Le type d’hybride pourrait aussi être un facteur à prendre en considération.

Dans le cadre d’un projet réalisé par le CÉROM depuis 2020, chaque année à l’automne, environ 7 000 à 8 000 épis sont récoltés dans les mêmes sites que ceux où un dépistage de masses d’œufs est effectué. Ces épis sont épluchés afin de déterminer le pourcentage d’épis endommagés par les larves de VGOH et la sévérité. Des mesures (masse des épis, longueur, diamètre et nombre de rangs) sont prises pour évaluer les impacts possibles de cet insecte sur les rendements. Comme les larves de VGOH creusent des trous et des galeries dans les épis, il est également possible d’observer des champignons pathogènes (p. ex., fusariose) qui peuvent produire des mycotoxines et affecter la qualité des grains. Les résultats montrent que, très souvent, les larves de VGOH sont localisées à l’apex des épis et ne consomment qu’une petite superficie de ceux-ci. Par conséquent, les larves de VGOH ne semblent pas affecter la longueur, le diamètre et le nombre de rangs des épis, mais la présence de dommages réduit très légèrement la masse des épis infestés. Par ailleurs, la présence de champignons pathogènes dans les épis est amplifiée par la présence de VGOH et de dommages, mais des épis non infestés par le VGOH peuvent quand même être affectés par des champignons. Un bon contrôle du VGOH est donc primordial pour limiter les pertes de rendement et de qualité du maïs.

Gestion intégrée

Les larves de VGOH se développant à l’intérieur des épis, il est difficile de lutter contre cet insecte. Pour être optimale, une intervention doit être ciblée et devrait être réalisée avant que les larves ne pénètrent à l’intérieur des épis, puisqu’après elles sont protégées par les spathes, ces feuilles qui entourent les épis. Idéalement, il est préférable de cibler les stades œufs et jeunes larves, d’où l’importance du dépistage. La période d’intervention est très courte, puisqu’entre le moment où la ponte a lieu et l’entrée des larves dans les épis, il s’écoule environ une semaine.

Plusieurs méthodes de lutte peuvent être envisagées pour contrer le VGOH, dont les ennemis naturels, l’utilisation d’hybrides exprimant la technologie Bt ou l’application d’insecticides.

Concernant les ennemis naturels, plusieurs peuvent s’alimenter des masses d’œufs et des jeunes larves de VGOH. C’est notamment le cas des larves et adultes de coccinelles, des larves de chrysopes et des larves et adultes de punaises prédatrices. Il est donc important de favoriser la présence de ces ennemis naturels dans les champs. Un des projets réalisés par le CÉROM a également mis en évidence que des micro-guêpes parasitoïdes, les trichogrammes, pondent naturellement leurs œufs à l’intérieur des œufs de VGOH, entraînant la mort de VGOH directement dans l’œuf, et empêchant du même coup l’émergence de larves. Des essais sont en cours pour évaluer l’impact d’épandages massifs de trichogrammes à l’aide de drones pour contrôler le VGOH.

Les hybrides de maïs Bt qui expriment la protéine Viptera (Vip3A) dans les tissus végétaux assurent une bonne protection contre les larves de VGOH, puisqu’elles meurent en ingérant cette protéine. Jusqu’à présent, Vip3A est la seule protéine efficace contre ce ravageur. Toutes les autres protéines Cry, qui permettent de lutter contre d’autres insectes (p. ex., papillons ravageurs, chrysomèles), sont inefficaces contre le VGOH. Il convient donc d’utiliser judicieusement les hybrides qui expriment cette technologie puisqu’il y a un risque que l’insecte développe une résistance au Viptera.

Lorsque le seuil de 5 % de plants infestés est atteint, des insecticides homologués au Québec peuvent éventuellement être utilisés (voir SAgE Pesticides), parmi lesquels des ingrédients actifs des groupes 3A, 28, 18 et 5. Ces produits présentent des indices de risques pour la santé et l’environnement ainsi que des délais avant récolte qui sont variables d’une molécule à l’autre. Par ailleurs, il faut cibler le moment idéal pour effectuer un traitement insecticide, car les masses d’œufs sont pondues sur une longue période et les larves se déplacent rapidement vers les épis après leur émergence des œufs.

La surveillance et les dépistages assurent une bonne gestion intégrée de l’insecte. Le dépistage estival des masses d’œufs est un bon moyen de connaître les périodes de ponte et de décider si une intervention est nécessaire. Un dépistage à l’automne est également très utile pour confirmer la présence de larves de VGOH et les dommages qu’elles ont occasionnés, afin de déterminer si une méthode de lutte doit être envisagée l’année suivante. Un autre avantage de ce dépistage automnal est de vérifier si la stratégie d’intervention adoptée (ennemis naturels, hybride Bt, insecticide) a été efficace pour contrôler le VGOH. Finalement, cela permet de prioriser la récolte des champs les plus infestés pour réduire les risques de développement de moisissures.

Le VGOH n’a pas fini de faire parler de lui, mais une bonne surveillance ainsi que l’accompagnement par un agronome pour faire les bons choix de gestion intégrée permettront de contrôler l’insecte et de limiter les dommages qu’il pourrait causer dans le maïs. 

Julien Saguez, Stéphanie Gervais, Mathieu Neau et Simon Chaussé, CÉROM – Centre de recherche sur les grains


Cet article a été publié dans le cahier Grains de janvier 2023.