Actualités 16 mai 2022

Dégringolade des inscriptions en transformation alimentaire

C’est l’hécatombe dans la plupart des collèges qui enseignent la transformation alimentaire : les classes se vident, avec un nombre d’inscriptions qui connaît une baisse radicale. Une situation qui n’est pas sans inquiéter les entreprises et organismes du milieu de la transformation.

« C’est effectivement une problématique. Les cohortes d’étudiants sont en décroissance. C’est très difficile de trouver des fromagers finissants. Trouver des gens formés, c’est aussi difficile. Je suis au fait que des fromageries vont diminuer le nombre de jours de production, faute de personnel. C’est triste », dépeint Alain Marchand, directeur du Centre d’expertise fromagère du Québec, qui accompagne 88 fromageries. Il insiste pour dire que ce manque de relève fait poindre des nuages noirs sur l’avenir de certaines fromageries artisanales. « C’est critique, surtout que l’âge moyen des propriétaires de fromageries artisanales est élevé. Les gens vieillissent. Certains sont usés et fatigués, et ne trouvent pas de relève. C’est une inquiétude pour eux; ils en parlent », partage-t-il. Au Conseil de la transformation alimentaire du Québec, le vice-président à ­l’innovation et aux affaires économiques, Dimitri Fraeys, indique que ces baisses d’inscriptions dans les techniques entraînent une diminution du personnel qualifié conduisant « à une aggravation de la pénurie de la main-d’œuvre ».

Peu de finissants

Des enseignants qui observent la diminution du nombre d’élèves en transformation alimentaire se grattent aussi la tête, comme Claudine Banville du Cégep régional de Lanaudière, à Joliette. « Avant, on se maintenait entre 12 et 20 nouveaux étudiants par année, mais cette année, nous sommes 8 et c’est en baisse. Seulement 4 sont inscrits pour l’an prochain, pour l’instant [au premier tour] », explique celle qui dispense une partie de la formation intitulée Technologie des procédés et de la qualité des aliments. Cette technique de trois ans amène ensuite les étudiants à travailler dans des usines de transformation alimentaire, des brasseries, des conserveries, des services d’inspection des aliments, etc.

L’enseignante souligne qu’en 2020, le nombre ­d’inscriptions était si faible qu’aucune cohorte n’a été formée. Le programme est reparti timidement en 2021, mais l’absence de cohorte en 2020 formera un passage à vide en 2023.  « Quand on dit aux entreprises qu’on n’aura pas de finissants pour eux l’an prochain, ils nous disent : ‘‘Euh… attends un peu! Ça ne va pas bien.’’ », relate-t-elle.

De contingenté à déserté

À Saint-Hyacinthe, dans l’un des bastions de la transformation alimentaire, même constat, indique Patrick Leduc, professeur et chef d’équipe en Technologie des procédés et de la qualité des aliments pour l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ). « Je n’ai pratiquement pas de relève qui s’inscrit au programme. Et dire qu’à l’époque, il était contingenté; il fallait de super bons résultats académiques pour entrer. On avait des cohortes de 35 étudiants. Aujourd’hui, on a de la misère à en avoir cinq. À La Pocatière, ils ne partent même pas le programme cette année, car il n’a pas assez d’inscriptions. C’est dramatique! » lance-t-il.

Le Conseil des industriels laitiers du Québec, qui représente les entreprises en transformation, a décidé de développer, conjointement avec l’ITAQ de ­Saint-Hyacinthe, une formation condensée sur un an appelée Techniques de transformation du lait en produits laitiers. Beaucoup d’efforts ont été investis dans ce programme, qui devait être lancé à l’automne 2021, mais faute d’étudiants, il n’a jamais débuté. Une première cohorte devrait commencer à l’automne 2022, espèrent les organisateurs. 

Au Cégep de Chicoutimi, Nathalie Collard enseigne la Technique de diététique et transformation alimentaire et assure que les classes n’ont jamais été aussi vides. « Nous aurons peut-être cinq ou sept étudiants pour la prochaine rentrée. Habituellement, il en rentrait une trentaine. J’ai déjà connu une cohorte de 60 il y a 17 ans. Ce sont des années difficiles. On n’a vraiment pas beaucoup d’étudiants présentement », exprime-t-elle.

Conséquemment, ils sont maintenant quatre enseignants à offrir le programme au lieu de huit auparavant. « Chaque prof se ramasse avec plus de cours, même si nous n’avons pas énormément d’étudiants. C’est beaucoup plus de préparation, et les labos sont organisés pour plusieurs groupes. Avec un petit nombre, ça ne fonctionne plus », donne-t-elle en exemple. L’industrie agroalimentaire de la région en souffre. « On reçoit des appels de partout pour avoir des finissants, mais on n’en a pas beaucoup », explique Mme Collard. 


Une formation express qui a du succès

À Montréal, le Collège de Maisonneuve offre une technique de trois ans en Technologie des procédés et de la qualité des aliments, la même que celle offerte à Joliette et par l’ITAQ de Saint-Hyacinthe. Malgré le grand bassin de population montréalaise, le recrutement est difficile pour la technique, confie Eric Larivée, conseiller pédagogique à la formation continue. Par contre, l’attestation d’études collégiales (AEC) en transformation des aliments, mise en place par le collège en 2012, remporte du succès. « Une AEC, c’est une formation plus condensée et de courte durée [7 mois]. Ça fonctionne bien. On a entre 30 et 50 étudiants par année. C’est surtout des adultes qui cherchent à accéder au marché du travail avec une formation pas trop longue », détaille M. Larivée. L’AEC n’enseigne pas les mêmes notions qu’une technique de trois ans; elle permet de former des opérateurs, précise-t-il.


Un désintérêt pour la formation technique difficile à expliquer

Les enseignants interrogés par La Terre ne comprennent pas pourquoi la formation en transformation alimentaire connaît un tel déclin. Certains estiment qu’elle suit le déclin de certaines autres techniques, car des jeunes préfèrent aller à l’université ou optent pour un diplôme d’études professionnelles de niveau secondaire au lieu de passer trois ans à faire une technique. Le conseiller pédagogique Eric Larivée indique que les salaires en transformation alimentaire s’améliorent, mais sont encore peu intéressants dans certaines entreprises, ce qui crée une mauvaise perception, selon lui.