Vie rurale 8 juillet 2022

Une étable à même l’école

WARWICK – En bordure de la route 116, à Warwick dans le Centre-du-Québec, se cache un établissement bien spécial où l’enseignement du français, de l’anglais et des mathématiques de secondaire 1 à 5 est juxtaposé au travail à la ferme. À même le site de l’école, une étable abritant 70 vaches Jerseys sert à la fois à la production de lait et à la responsabilisation d’adolescents au parcours académique ardu.

« Je travaille ici depuis 1998. L’étable était déjà là quand je suis arrivé, mais il n’y avait que quelques animaux », raconte Jean-François Boutin, éducateur spécialisé à l’école alternative La Fermentière. Celle-ci accueille 28 jeunes de 15 à 18 ans qui éprouvent des difficultés d’adaptation socioaffective et accusent souvent de graves retards d’apprentissage. « En 2008, j’ai fait une proposition à la commission scolaire de louer le bâtiment pour démarrer ma propre ferme laitière. Je l’exploite et en échange, l’étable sert aussi de lieu où je fais faire des ateliers aux étudiants. Ils viennent participer aux tâches; ça les responsabilise », ajoute le producteur laitier qui a démarré avec 15 kilos de quota et 20 vaches, avant que le troupeau prenne de l’expansion. « Là, j’ai 70 animaux, dont 36 vaches en lait. […] L’avantage, quand j’ai démarré, c’est que j’avais un salaire à l’école; je ne dépendais pas du salaire de la ferme. Je peux aussi faire ma régie de troupeau en faisant mon métier d’éducateur spécialisé. C’est beaucoup d’engagement, mais c’est vraiment valorisant. »

Plus que de la zoothérapie

Juste avant la fin de l’année scolaire, le 15 juin, trois élèves de l’école, Cassandre, Skyler et Philip, font faire le tour des lieux à la journaliste de La Terre avec enthousiasme. Outre l’école et l’étable, le site intègre un bâtiment abritant des ateliers d’ébénisterie et une serre permettant aux adolescents de faire pousser des légumes. Si Skyler préfère travailler le bois, Cassandre, elle, affectionne la serre. « C’est calme et délicat », résume-t-elle. Pour des raisons similaires, elle apprécie aussi le travail à l’étable. « J’aime vraiment le contact avec les animaux; ça me calme. J’aime les soigner, les nourrir. »

Jean-François Boutin précise qu’une partie de la journée des élèves est réservée aux cours de base à l’école et l’autre, aux ateliers d’éducation spécialisée avec lui. « L’étable, ils aiment vraiment ça, généralement. Les animaux, ça apaise, indique-t-il. En plus, ils ne font pas juste de la zoothérapie avec quelques animaux, ils vivent vraiment l’expérience du travail, avec des résultats concrets », ajoute l’agriculteur.

L’école La Fermentière est en quelque sorte un « plateau de relance », précise-t-il, où les adolescents sont de passage quelques années avant de se diriger vers la formation professionnelle, d’intégrer le milieu de travail ou de terminer leurs études secondaires à l’éducation des adultes.

Cassandre aime le contact avec les animaux, les nourrir et leur apporter des soins. Elle y voit une source de détente.
Cassandre aime le contact avec les animaux, les nourrir et leur apporter des soins. Elle y voit une source de détente.

Un lien plus facile à établir

À titre d’éducateur spécialisé, Jean-François Boutin remarque qu’il est plus facile pour lui de créer des liens avec les jeunes et d’obtenir des confidences de leur part lors des ateliers qu’il déploie à l’étable que dans un contexte plus formel. « Souvent, ils ont vu beaucoup d’intervenants dans leur vie et ont une carapace épaisse. Ils peuvent avoir des problèmes de consommation, de comportement, de santé mentale », explique celui qui constate néanmoins une bonne ouverture de leur part lorsqu’ils s’occupent des animaux. « Pour toutes sortes de raisons, ils sont incapables de passer par le système scolaire traditionnel, dit-il. Si on veut un résultat différent, apprenons-leur quelque chose de différent. »

Selon lui, près de 90 % des étudiants trouvent un emploi ou une place en formation professionnelle au terme de leur parcours à La Fermentière, et ce, dans toutes sortes de domaines. Certains choisissent parfois l’agriculture. « Ce n’est pas la majorité […], mais clairement, il y a un intérêt qui se développe. Il faut comprendre que les élèves ne viennent pas chez nous par intérêt pour l’agriculture, mais plutôt pour vivre un projet éducatif différent, adapté à leurs besoins », précise-t-il


Cet article a été publié dans le cadre d’un dossier complet sur l’éducation en milieu agricole paru dans La Terre de chez nous du 6 juillet 2022.