Vie rurale 13 septembre 2018

Parce que parfois, ça n’arrive pas qu’aux autres

Je veux vous avertir tout de suite, le texte qui suit n’a rien de comique ni de joyeux. J’ai déjà les yeux remplis d’eau et j’ai juste deux phrases d’écrites! Je tiens à vous raconter mon histoire, car je crois que ça peut faire prendre conscience à plusieurs parents (et pas nécessairement juste des agriculteurs) que des accidents, c’est si vite arrivé.

En mai 2012, nous étions en train d’effectuer une tâche de notre quotidien, c’est-à-dire prendre des petites balles de foin dans le haut de notre grange afin de les apporter aux taures. Mon conjoint mettait les balles sur un premier convoyeur, celles-ci arrivaient vers moi. Je les prenais, faisais quatre ou cinq pas avec et je les déposais sur le deuxième convoyeur, qui lui, les apportait à mon beau-père dans le trailer. Les garçons, eux, jouaient un peu plus loin dans le foin. La routine, quoi! […]

agrimom_bigboxLe plus jeune de nos garçons (il avait 22 mois) a décidé d’aller se mettre la main dans la gear du monte-balles pendant les deux secondes et quart où j’avais le dos tourné à mettre ma balle 4-5 pas plus loin. Ça m’a pris un millième de seconde à rejoindre mon bébé, le ramasser et le tirer par la taille pour enlever sa main de là. J’ai fait vite! Vite, mais pas assez pour m’empêcher de voir son tout petit bout de doigt s’arracher. Je crois qu’il y a une partie de mon cœur qui s’est arraché en même temps.

Je vous résume rapidement la suite de l’histoire : ambulance jusqu’à Sherbrooke, transfert à Sainte-Justine dans une autre ambulance avec escorte policière sur le pont pour pouvoir passer dans la voie des autobus, attente interminable (à mes yeux!) avec mon bébé afin de voir la chirurgienne en plastie. […]

Finalement, l’opération s’est très bien déroulée, mais comme ce n’était pas une coupure nette, ils n’ont pas été en mesure de remettre son bout de doigt, car oui, j’avais dû retourner dans la grange afin de vider le convoyeur et fouiller dans le foin pour trouver ce minuscule petit bout de doigt. […]

Ça a été la pire nuit de toute ma vie, car dès que je fermais mes yeux, tout ce que je voyais, c’est son doigt entrer dans la gear. Dans mes rêves, je ne parvenais pas à l’arracher de là à temps et c’est toute sa petite main et son petit bras qui y passait! […]

La sécurité, encore et toujours

Dans les mois qui ont suivi, je crois que j’étais un peu (pas mal) fatigante en ce qui concerne la sécurité. Même encore aujourd’hui, quand on fait notre foin l’été, les enfants n’ont pas le droit d’aller dans les voitures si je ne suis pas là. Je m’en suis tellement voulu personnellement que je vais tout faire pour que ça n’arrive pas une autre fois. Et c’est vrai qu’il en arrive malheureusement souvent des accidents dans les fermes, mais connaissez-vous un autre métier où les parents sont fréquemment en présence de leurs enfants? De plus, dans une ferme, c’est rempli de grosses machineries, de moteurs qui tournent, de trucs qui coupent, d’animaux qui pèsent plus d’une tonne, etc.

Ça fait un certain temps que c’est arrivé et je peux vous dire que, chez nous, les consignes sont maintes fois répétées aux enfants et aux amis. Je ne peux pas garantir à 100 % que rien ne nous arrivera, mais je crois que nous pouvons tous prendre conscience que ça prend un quart de seconde pour qu’un accident se produise. Si ça peut permettre à un seul d’entre vous d’éviter la même histoire, ça aura valu la peine que je vous en fasse part. Quand je vois aux nouvelles qu’un enfant est mort écrasé par un tracteur, ça me fait tellement de peine, mais en même temps, je suis soulagée que notre « avertissement » nous ait coûté seulement un petit bout de doigt et non une vie.  

Jessika Boilard, Agrimom