Vie rurale 21 février 2018

L’homosexualité, de plus en plus visible à la ferme

DRUMMONDVILLE — Il n’est pas rare aujourd’hui de croiser deux hommes mariés propriétaires d’une exploitation laitière ou un couple de femmes qui élève ses enfants dans une ferme maraîchère.

Autrefois un tabou majeur, l’homosexualité à la ferme est de plus en plus visible et acceptée. Le premier colloque organisé par Fierté agricole le 15 février en fait foi. Cependant, tout n’est pas encore gagné pour la communauté de producteurs gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres (LGBT).

Évolution

« C’est vrai que ça va mieux [qu’il y a 10 ans], que ça grossit », estime Maria Labrecque-Duchesneau, la fondatrice de Fierté agricole. Robin Fortin vit avec son conjoint depuis 26 ans. Au cours de ses trois premières années à la ferme de Wickham, le couple d’agriculteurs a dû composer avec le malaise de son voisin, mais il dit n’avoir jamais observé de discrimination à son égard. Même son de cloche du côté de la maraîchère Isabelle Laflamme. « Le milieu rural est plus ouvert qu’il ne l’était. Je n’ai pas senti de jugement à Sainte-Angèle-de-Monnoir, en Montérégie », confie-t-elle.

On assiste même, depuis 20 ans, à un retour de personnes LGBT exilées en ville vers leur région natale pour y vivre leur homosexualité. « Je pense qu’il y a des régions au Québec qui sont beaucoup plus habilitées à offrir des services aux personnes LGBT que certains quartiers de Montréal parce qu’il y a des gens engagés chez eux qui ont fait en sorte que les [mentalités] évoluent, comme en Abitibi-Témiscamingue et en Beauce », a indiqué Bill Ryan, professeur à l’École de travail social de l’Université McGill.

L’ouverture d’esprit s’est d’ailleurs fait sentir au dernier Salon de l’agriculture. Fierté agricole a effectué une tournée des kiosques pour promouvoir le colloque et le coordonnateur affirme avoir reçu un excellent accueil du milieu.
« Plusieurs nous disaient de continuer notre beau travail, qu’ils avaient dans leur famille un garçon, une fille, un frère [homosexuel], explique Alain Therrien, professeur à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. C’est très positif pour le futur. »

Démystification

Cependant, tout n’est pas gagné pour la communauté LGBT. Le producteur laitier et président de Fierté agricole, Joé Desjardins, estime que la population est plus sensibilisée, mais qu’il faut poursuivre le travail de démystification en région. Il dit se faire questionner souvent sur la réalité d’un couple gai à la ferme. « On organise aussi le colloque pour que ce soit plus facile autant pour les intervenants LGBT qui arrivent dans une ferme que pour l’agriculteur qui reçoit les fournisseurs chez lui, pour les voisins, etc. », explique M. Desjardins.

Au Québec, aucune étude ne s’est penchée sur la présence des personnes LGBT dans le secteur agricole, ce qui est révélateur de leur « invisibilité », indique la professeure titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’Université du Québec à Montréal, Line Chamberland.

Le défilé, huit ans plus tard

À Montréal en 2010, des producteurs avaient suscité de l’étonnement en s’affichant au défilé de la Fierté gaie. « Sur place, les gens étaient vraiment surpris de voir qu’il y avait des agriculteurs homosexuels », se rappelle Joé Desjardins, l’un des cinq producteurs à avoir paradé sur le char allégorique. De l’étonnement, mais surtout de l’admiration de la part de la communauté LGBT urbaine, car plusieurs homosexuels nés à la campagne ont migré vers la ville en pensant que leur intégration y serait plus facile. « La première fois qu’on est allés au défilé, on a été accueillis à bras ouverts, renchérit l’instigatrice de Fierté agricole, Maria Labrecque-Duchesneau. En fin de compte, il faut se poser la question suivante : “Qui met des barrières [à l’homosexualité en milieu rural]?” » Aujourd’hui, Fierté agricole regroupe 84 membres et 250 abonnés à son infolettre. 

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