Vie rurale 25 avril 2019

Les veaux, ces anges cornus

Aujourd’hui, je fais mon coming out : je suis une productrice laitière qui n’aime pas faire boire les veaux. Quand ils sont nés depuis environ une heure, qu’ils sont encore mouillés, sales, chambranlants et malhabiles, il n’est pas toujours facile de leur donner le biberon.

Ils se tiennent debout de peine et de misère, et en plus, on doit leur montrer à boire à la bouteille. Coup de tête par-ci, lait qui coule par-là, ils t’écrasent les pieds, tombent par terre, n’arrêtent pas de lâcher la tétine. Bref, une quinzaine de minutes de pur plaisir!

Après leur deuxième repas, si je suis chanceuse, les veaux boiront tout seuls : juste besoin de tenir le biberon. Mais après le troisième jour, il faut leur montrer à s’abreuver avec la chaudière à tétine. Là, c’est une vraie séance de yoga. À l’aide d’une main et d’un pied, je leur pousse sur les fesses, pendant qu’avec l’autre main, je leur indique qu’il y a du lait dans la tétine. Ensuite, je les retiens avec mon autre genou pour éviter qu’ils se tassent ou s’effondrent. Le summum du bonheur, c’est quand les veaux donnent un coup de tête sur la chaudière qui se déverse sur moi. Mais lorsqu’ils comprennent enfin le principe, j’ai simplement à faire le mélange de lait en poudre et à le verser dans la chaudière. 

Quatorze jours plus tard, les veaux doivent être transférés dans la louve. Évidemment, ils se sauvent dès que j’approche. Après avoir fait cinq fois le tour du parc pour les rattraper, je réussis à les amener à destination avec leurs nouveaux compagnons qui, soudainement, éprouvent un trop plein d’amour pour moi. Un tète mon chandail, l’autre, ma botte. Un cherche frénétiquement mes doigts pendant qu’un autre me donne des coups de tête dans le derrière. Et c’est sans compter le petit nouveau qui n’y comprend rien et qui décide de me faire pipi dessus. Ensuite, il faut recommencer la technique de yoga expliquée plus haut pour leur montrer comment boire avec la tétine de la louve.

Dans une ferme qui compte une centaine de vaches en lactation, des vêlages, il y en a toutes les semaines. Donner le biberon est donc un éternel recommencement. Parfois, on en a des vraiment moins dégourdis qui ont besoin de plusieurs jours pour comprendre. Dans ce temps-là, j’appelle mon chum à la rescousse parce qu’il est pas mal plus patient que moi. À l’occasion, j’ai l’impression d’avoir gagné le gros lot quand de super veaux saisissent tout du premier coup. Je les adore, ceux-là! Bref s’occuper de ces petits anges cornus dans une ferme demande beaucoup de rigueur, de vigilance, de patience et d’amour. J’ai mentionné plus haut que je n’aimais pas les faire boire, mais dans le fond, je ne déteste pas ça tant que ça. 

Christine Aubin, Agrimom