Vie rurale 13 décembre 2022

Le diesel à des prix jamais vus : pourquoi?

L’agriculteur Daniel Dutilly, de Rougemont, en Montérégie, a eu le vertige en regardant la facture du plein de son réservoir de diesel à la ferme. « Quasiment 10 000 $ pour une tank de 1 000 gallons! On a mis un cadenas. Je me demande si on ne devrait pas installer une caméra et accoter la pelle du loader dessus pour que personne ne parte avec », commente avec humour le sympathique producteur de grains.

Le prix du diesel atteint des niveaux records depuis quelques semaines, ce qui alimente les discussions. Sur les médias sociaux, l’éleveuse de bovins July Langlois, du Centre-du-Québec, dit qu’elle a payé 2,40 $ le litre pour du diesel coloré, lequel est même plus cher que le diesel blanc et l’huile à chauffage, déplore-t-elle. 

Rappelons que le diesel coloré destiné aux agriculteurs est habituellement moins cher, en raison de taxes moindres, que celui à la pompe.

« On mange les bêtises »

Deux grands fournisseurs de produits pétroliers aux agriculteurs, Nutrinor et Groupe Filgo-Sonic, n’ont pas voulu répondre aux questions de La Terre. Par contre, Patrick Gauthier, propriétaire des Pétroles O. Archambault & Fils, à Saint-Denis-sur-Richelieu, a pris le temps d’expliquer qu’effectivement, le prix du diesel coloré destiné aux agriculteurs, qui est habituellement 0,20 $/litre moins cher comparativement au diesel vendu à la pompe, se vend pratiquement le même prix présentement. Il dit que ce sont les raffineurs qui prennent des marges excessives en ce moment et qui lui vendent le diesel coloré au même prix que le blanc. « Les gens pensent que ce sont les vendeurs comme moi qui s’en mettent plein les poches. Ce n’est vraiment pas le cas. Au contraire, nos marges ne sont pas élevées et sont les mêmes qu’il y a 15 ans, mais nos coûts de livraison ont augmenté. Les raffineurs font des profits d’or, pendant que sur le ­terrain, nous, on mange les bêtises. Car, pour les clients, du diesel à 2,58 $/litre comme on a vu, ça commence à faire cher. Même pour l’huile à chauffage, il y a des familles qui vont payer 5 000-6 000 $ de chauffage cette année », se désole-t-il. 

Patrick Turmel
Patrick Turmel

L’effet de la guerre en Ukraine

À environ 2,40 $ le litre en ce moment, le prix du ­diesel atteint des niveaux inconfortables pour les utilisateurs. Pourquoi? La demande est forte et les stocks sont faibles, répond Patrick Turmel, vice-président agriculture pour tout le Canada à la Banque Nationale. « Depuis la guerre en Ukraine, les sanctions [sur les combustibles fossiles russes] ont fait exploser le prix du gaz naturel. Plusieurs entreprises européennes ont laissé tomber le gaz pour convertir leurs opérations au diesel. Et ici, lorsqu’on avait des pics de demande de diesel ou de mazout, on importait du pétrole russe. On ne peut plus, ce qui fait que les stocks de diesel sont au plus bas présentement. » Voilà pour la demande. L’autre variable, l’offre, est aussi en cause. « Les capacités de production n’ont jamais été aussi basses. La côte est américaine a perdu deux grosses raffineries, soit le quart de la production de diesel. On ne peut plus en importer d’Europe [car ils en manquent]. Ça prend entre cinq et six ans construire une raffinerie et avec la transition énergétique mondiale, [l’utilisation de voitures électriques, la priorité vers des énergies vertes, etc.], les grands groupes pétroliers ne veulent plus construire de nouvelles raffineries et les plus vieilles raffineries ont des dates de fermeture programmées », explique M. Turmel. 

En d’autres mots, il faudra attendre la fin de la guerre en Ukraine pour savoir si le marché du pétrole, et du diesel, se rééquilibrera. Avec leurs exportations frappées de sanctions, est-ce que les Russes accumulent des réserves de diesel et de combustibles fossiles qui pourraient être de nouveau disponibles sur les marchés après un éventuel cessez-le-feu? Ou est-ce que les Russes consomment justement une bonne partie de leur diesel dans leur propre guerre? « L’information est très ­difficile à obtenir », et cela rend les prévisions de prix hasardeuses, conclut Patrick Turmel.