Vie rurale 10 avril 2019

La quête d’une fromagère en deuil

MERCIER — Jean-François Hébert était un agronome, un entrepreneur et un athlète. Perfectionniste, il a consacré 20 ans de sa vie à son élevage de chèvres et à son verger expérimental. Il était tellement investi qu’il en a négligé sa santé. Un jour, il a craqué et a mis fin à ses jours.

Le drame s’est produit en novembre dernier. La conjointe du défunt, Caroline Tardif, a été durement éprouvée. Mais courageuse, elle se montre plus déterminée que jamais à faire vivre la Fromagerie Ruban bleu, de Mercier, en Montérégie, et tous les projets dont elle a tant rêvé avec son amoureux.

Elle désire que perdure « l’œuvre d’art » de son conjoint, c’est-à-dire le verger de conservation biologique de 15 arpents situé sur le terrain de l’entreprise. On y retrouve plus de 150 variétés de pommes et 50 sortes de poires, fruits de plus de 20 ans d’expertise. Jean-François, qui était agronome spécialisé en cultures fruitières, cherchait à développer des pommes plus résistantes aux maladies et de meilleures techniques pour la taille ainsi que la greffe des arbres. Il a documenté toutes les variétés cultivées sur le site.

Le verger de conservation biologique à louer rassemble plus de 150 variétés de pommes et 50 sortes de poires différentes. Voir autre article : La quête d'une fromagère en deuil.
Le verger de conservation biologique à louer rassemble plus de 150 variétés de pommes et 50 sortes de poires différentes. Voir autre article : La quête d’une fromagère en deuil.

Pour la continuité

Caroline est prête à louer gratuitement le verger à quiconque voudrait poursuivre le rêve de son conjoint. Actuellement, l’entrepreneure consacre toutes ses énergies à la fromagerie. Selon une approche strictement comptable, on lui a même suggéré de raser le verger. « Je suis juste incapable. Je l’ai vu œuvrer là-dedans toute sa vie », témoigne-t-elle.

Le futur associé pourrait y travailler quatre mois par année. Les possibilités d’affaires sont multiples, avance Caroline. On avait déjà l’habitude d’organiser des visites et des activités

. Il serait intéressant de mettre en place une cuisine de transformation mobile, mentionne-t-elle. Tout est matière à discussion, pourvu que le verger puisse rester en vie, insiste la fromagère. « Je vois ça comme une œuvre d’art. Le plus gros [du travail] a été fait. Maintenant, il faut le mettre en valeur », soutient Caroline.

Culpabilité

La mère de deux enfants dit avoir recueilli des milliers de messages sur les réseaux sociaux, où elle s’est livrée sans tabou. Elle a aussi reçu un grand nombre de lettres de sympathie, surtout de familles ayant vécu un drame semblable. Mais au-delà du réconfort, de cet élan de solidarité, les plaies sont encore vives. « Je suis peinée de ne pas avoir pu lui offrir mon appui dans sa tristesse, sa détresse. C’est là où je m’en veux, quand je me dis qu’il était tout seul là-dedans », regrette sa conjointe.

Le centre de crise et de prévention du suicide La Maison sous les arbres, de Châteauguay, a contacté Caroline après le drame pour lui proposer du soutien. « Si j’avais su que la Maison existait, c’est sûr que j’aurais appelé là-bas pour demander aux intervenants de venir chercher mon chum », dit-elle aujourd’hui. 

Le soutien des employés

Dans les circonstances, l’entrepreneure estime être bien entourée grâce à ses cinq employés qui vivent à la ferme, avec qui elle a l’habitude de partager ses soirées. Au lendemain du drame, ils se sont d’ailleurs réunis d’urgence pour se diviser les tâches afin de lui donner du répit pendant quelque temps.

« La pression ne repose pas juste sur moi. […] Tout le monde travaille pour la survie de l’entreprise », fait valoir la fromagère. Cette dernière a également entamé un processus de rachats de parts avec quatre de ses employés qui veulent assurer la pérennité de la fromagerie.

Le triste événement a aussi amené l’entrepreneure à prendre une décision pour favoriser le bien-être de son personnel. Elle insiste maintenant pour que tout un chacun ait droit à deux mois de vacances. « Je ne veux pas qu’on revive la même chose que Jean-François. Oui, c’est notre vie, le Ruban bleu, mais je ne veux pas que ça devienne notre drogue. Ça va être une obligation [de prendre ce temps de vacances]. J’y tiens réellement », assure Caroline Tardif.

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