Vie rurale 21 juin 2019

Être agricultrice…

C’est se lever à l’aurore, parfois même avant que le coq ne soit lui-même réveillé. C’est rentrer tard le soir, souvent bien après le coucher du soleil. C’est se lever la nuit pour surveiller une vache qui met bas. C’est travailler la fin de semaine, les jours fériés et pendant les vacances d’été. C’est arrêter de compter rapidement les heures de travail pour les remplacer par le nombre de jours en ligne, pour finalement ne plus rien compter du tout et aller travailler, point. C’est être à la ferme à 8 h, à Noël et au jour de l’An, et de retour avant la traite du soir.

Être agricultrice, c’est lorsqu’une fin de semaine en amoureux signifie partir le samedi matin après la besogne et revenir à temps pour celle du dimanche soir. C’est interrompre un dîner de famille donné pour son propre anniversaire afin d’aller assister une vache qui vêle. C’est un dimanche après-midi tranquille à profiter du beau temps qui se transforme tout à coup en urgence vétérinaire, avec une césarienne, juste avant la traite du soir. C’est se virer sur un 10 cents et mettre de côté ce qu’on avait planifié pour les urgences comme réparer un équipement qui fait défaut, entrer du foin avant la pluie ou traiter une vache malade. C’est réduire ses attentes quant à la propreté de la maison.

Être agricultrice, c’est aussi pouvoir admirer pratiquement tous les levers de soleil qui sont si beaux à la campagne. C’est sentir l’odeur de la rosée tôt le matin en se rendant à l’étable. C’est profiter du calme matinal quand tout le monde dort et qu’il n’y a pas d’autos qui circulent encore. C’est reconnaître les tracteurs qui passent devant la maison juste au son, même ceux des voisins. C’est connaître par cœur le nom et le numéro sur le logiciel de régie de chaque animal de la ferme et pouvoir remonter quatre générations en arrière pour pratiquement toutes les bêtes du troupeau. C’est une génisse qui se colle à nous pour recevoir sa caresse quotidienne quand on gratte son parc.

Être agricultrice, c’est avoir plein de temps pour réfléchir à tout et à rien pendant qu’on passe des heures assise sur le tracteur ou pendant la traite, alors que le reste du monde va trop vite. C’est être témoin du miracle des naissances plusieurs fois dans une année et avoir la chance de vivre (presque) à notre propre rythme.

Être une maman agricultrice

C’est acheter une vache par téléphone, de l’hôpital, alors que notre petit dernier a à peine 24 heures de vie. C’est commencer son congé de maternité en entrant à l’hôpital pour accoucher et le terminer en retournant à la maison quelques jours plus tard. C’est avoir le cœur qui arrête chaque fois qu’on entend un tracteur démarrer et qu’on n’arrive pas à voir où sont nos enfants. C’est expliquer à notre coco de deux ans que oui, ça lui ressemble, mais non, ce qui est dans le trou derrière les vaches n’est pas du chocolat. C’est songer à utiliser le boyau à jardin pour nettoyer un enfant qui a trouvé la réserve de maïs moulu.

Être une maman agricultrice, c’est lorsque notre fille trouve étrange que certaines personnes doivent acheter du lait à l’épicerie, alors que nous, on « l’achète aux vaches ». C’est lorsque papa, qui travaille sur la route, est meilleur pour mettre la crème solaire parce qu’il a les mains douces, lui. C’est entendre notre conjoint comparer notre accouchement à un vêlage, pour rire…

C’est aussi avoir la chance que nos enfants viennent dîner à la maison en autobus durant l’année scolaire. C’est de ne pas avoir à négocier quelques heures de congé pour assister aux concerts de fin d’année. C’est pouvoir être témoin des yeux émerveillés de nos enfants qui voient un veau naître pour la première fois. C’est éviter les casse-tête des journées pédagogiques en emmenant nos cocos avec nous à la ferme. C’est offrir un immense terrain sans avoir à se déplacer.

C’est parfois éreintant, souvent essoufflant. Et c’est aussi être émerveillée par leurs grands yeux chaque fois qu’ils entrent à l’étable avec nous pour y découvrir un nouveau bébé veau. 

Cynthia Coulombe, Agrimom.