Politique 16 juillet 2022

Martine Mercier : tel père, telle fille

Voilà 15 ans que Martine Mercier a quitté le monde du syndicalisme agricole. Il ne suffit pourtant qu’une question sur les enjeux qui confrontent aujourd’hui la filière aviaire pour avoir un aperçu de celle qui fut la première femme à occuper une des deux vice-présidences de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Québec en 2001. 

« C’est génétique, cette implication-là », confie en souriant l’ancienne présidente des Producteurs d’œufs d’incubation du Québec (POIQ) en 1992 et de 1998 à 2002, à propos de son empressement à répondre à la question. 

Martine Mercier et son fils Clément Allard forment la 4e et la 5e génération du clan Mercier à pratiquer l’agriculture à Saint-Alexis-de-Montcalm, dont les trois dernières dans la production aviaire. Photo : Gracieuseté de la Ferme Mercier et Allard
Martine Mercier et son fils Clément Allard forment la 4e et la 5e génération du clan Mercier à pratiquer l’agriculture à Saint-Alexis-de-Montcalm, dont les trois dernières dans la production aviaire. Photo : Gracieuseté de la Ferme Mercier et Allard

Quand on est la fille de Laurent Mercier, ancien président des Producteurs de poulet du Canada, membre fondateur des Éleveurs de volailles du Québec et intronisé en 2001 au Temple de la renommée de l’agriculture du Québec pour ses 60 ans de syndicalisme agricole, la voie est tracée, mais les chaussures… grandes à chausser. 

« Notre père avait une très grande crédibilité dans le milieu. Ça pouvait devenir un handicap jusqu’à un certain point quand on décidait de s’impliquer, car les gens s’attendaient à beaucoup », se souvient Martine Mercier, qui gère aujourd’hui, avec son fils, une ferme d’œufs d’incubation à Saint-Alexis-de-Montcalm. 

Mais l’agricultrice a toujours retenu une leçon de son père décédé en 2014. « Je lui demandais : “Pourquoi tu fais ça? Pourquoi tu es moins à la maison?” Il me répondait que, la meilleure façon de protéger son avenir, c’est par l’implication. Soit on fait partie de la solution, soit on la subit. Après ça, pour moi, c’est devenu naturel de s’occuper de nos affaires et d’aller à la défense de tous. »

Parcours atypique

De son propre aveu, Martine Mercier a eu un parcours d’agricultrice atypique. « Avec mon conjoint, à l’époque, nous étions des producteurs agricoles nomades. On a commencé dans les œufs d’incubation en 1979 à Sainte-Sophie dans une ferme en location, puis après, on a déménagé à Saint-Gabriel-de-Brandon, avant de s’installer à Saint-Alexis-de-Montcalm où la famille Mercier est établie depuis cinq générations. Ce n’était pas fréquent à l’époque de déménager de ferme régulièrement, mais nous, on l’a fait », se rappelle-t-elle. 

En début d’année 2022, la Fédération de l’UPA de Lanaudière (FUPAL) remettait justement à la famille Mercier le Prix Liliane H. Duval pour son implication sur les enjeux touchant la gestion de l’offre, la relève agricole, etc. « Ce ne sont pas toutes les familles qui peuvent se féliciter d’avoir accompli autant pour leurs productions. Chaque génération a apporté son grain de sel à la vie syndicale et s’est impliquée de façon remarquable », a louangé Marcel Papin, président de la FUPAL, lors de la remise du prix.

En tant que présidente des Producteurs d’œufs d’incubation du Canada au début des années 2000, Martine Mercier a pu constater le fossé qui séparait les agriculteurs québécois de leurs confrères canadiens. « À l’époque, je parlais des filières qu’on mettait en place au Québec et de la concertation que ça nécessitait. Autour de la table, ils ne comprenaient pas que tu peux avoir une bonne entente si ça fait l’affaire des autres. Si l’autre accepte ta proposition, c’est que tu n’as pas bien fait ta job. Je me suis souvenue alors de mon père qui disait qu’on est plus fort collectivement qu’individuellement et qu’on ne gagne rien sur le dos des autres. C’était vraiment une philosophie complètement différente de la nôtre », souligne l’avicultrice, qui poursuit aujourd’hui son implication bénévole, mais au sein de sa communauté, notamment de la caisse Desjardins locale. 

Une sixième génération?

Depuis 2002, avec son fils Clément Allard, elle veille aux activités de la Ferme Mercier et Allard inc. « C’est une petite production de 10 000 poules pondeuses, sans culture dans les champs. » D’ailleurs, le fils semble aussi atteint de la fibre syndicaliste puisque son CV relate ses implications en tant que président du Syndicat de la relève agricole de Lanaudière et comme 2e vice-président de la Fédération de la relève agricole du Québec. 

Dans cette optique de fibre familiale, ce n’est pas sans fierté que Martine Mercier raconte le souhait d’une de ses petites-filles de prendre la relève un jour. « Elle n’a que 14 ans, mais ça fait déjà 5 ans qu’elle nous a dit qu’elle veut suivre son cours en agriculture au collège McGill », dit la grand-maman en souriant. 

Mais revenons-en aux enjeux qui confrontent aujourd’hui la filière aviaire et qui ont immédiatement fait réagir l’ancienne présidente des POIQ en début d’entrevue. 

« Comme producteur, on investit beaucoup dans la biosécurité, mais quand on regarde ce qui s’est passé avec la grippe aviaire et les oiseaux migrateurs ce printemps, il y a un bout dans l’environnement qu’on ne peut contrôler. Le défi, c’est de trouver des solutions dans le non-contrôle de ces éléments extérieurs. Je regarde ce qui s’est passé au lac Brome [cas de grippe aviaire chez Canards du Lac Brome] où ils ont dû abattre des élevages au complet. Je suis certaine que c’étaient des producteurs qui étaient à l’écoute de ce qu’ils devaient faire », compatit Martine Mercier. 

De même, l’ancienne présidente des POIQ rappelle qu’il faut toujours être vigilant quand il est question de traités de libre-échange internationaux où la production agricole est souvent mise dans la balance comme étant un compromis qu’on peut faire. 

Martine Mercier rappelle la situation unique des producteurs d’œufs d’incubation lorsque les gouvernements accordent des parts de marché aux importateurs. « Nous sommes pénalisés deux fois. Nous perdons une occasion de produire pour le marché canadien lorsque des parts sont accordées pour les œufs d’incubation et les poussins. Mais nous perdons aussi une deuxième fois pour les parts qui sont données pour les poulets entiers, car chacun de ces poulets ne provient pas d’un œuf produit au Canada », déplore-t-elle.

« Les gouvernements ont beau dire qu’ils nous écoutent, qu’ils nous protègent. Des fois, au bout, ça ne suit pas tout le temps. C’est important de s’en occuper, d’autant plus qu’au Québec, on parle de plus en plus d’autosuffisance agroalimentaire », conclut la digne fille de son père.