Politique 24 septembre 2019

Auditions de la CAPERN – Jour 2

Les Apiculteurs et apicultrices du Québec y sont allés d’un cri du cœur en ouverture du deuxième jour des auditions de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) sur l’utilisation des pesticides de synthèse au Québec en soulignant à quel point leur production serait hypothéquée par l’emploi de ces derniers.

« Bon an mal an, j’ai 25 % de pertes chaque printemps », a indiqué d’entrée de jeu Raphaël Vacher, l’un des deux représentants des Apiculteurs, attribuant en partie ces pertes aux pesticides qui affaiblissent selon lui le système immunitaire de ses insectes. « Je ne connais aucune autre production qui serait prête à connaître pareilles pertes année après année », a-t-il ajouté.

Le propriétaire de 1 500 ruches a fait le calcul de ses pertes au fil des ans. « Depuis mon démarrage en 2006, j’ai perdu 2 948 ruches. Si on calcule le prix moyen d’une ruche à 350 $, j’ai assumé à peu près 1 M$ de pertes, et ça, c’est seulement l’actif. Ça ne compte pas la perte de revenus et le coût pour racheter des abeilles. »

Trois pesticides du groupe des néonicotinoïdes ont été montrés du doigt pour leur rôle dans le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles. Pour les utiliser, un producteur doit obtenir depuis cette année une justification agronomique. Or, même si la mortalité liée aux pesticides s’observe principalement l’été, selon M. Vacher, rien n’a changé. « On n’a pas vu de différence », a-t-il confié à La Terre en marge des audiences.

Sa collègue Julie Fontaine a décoché une flèche à l’organisme fédéral qui réglemente l’utilisation des pesticides au Canada, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA). « L’ARLA est la porte d’entrée de ces produits-là [les pesticides], a-t-elle dit. Le Québec doit continuer de revoir l’utilisation qui s’en fait parce que le fédéral ne fait pas sa job et c’est nous qui en subissons les conséquences. La réglementation provinciale se doit d’être encore plus restrictive. » L’apicultrice a notamment demandé à ce que la nécessité d’obtenir une justification agronomique soit étendue à d’autres pesticides.

Promouvoir l’enseignement du bio

Des représentants de trois regroupements de transfert des connaissances en agriculture biologique se sont ensuite présentés au micro, menés par Normand Poniewiera, directeur de l’Institut national d’agriculture biologique (INAB) du Cégep de Victoriaville, qui a indiqué que l’INAB serait tout indiquée pour faciliter la transition d’agriculteurs conventionnels vers le biologique advenant que le gouvernement y aille d’incitatifs en ce sens. « Je pense qu’on est capables d’être des leaders dans le transfert d’expertise à l’ensemble des Québécois tant au niveau de la recherche que du transfert de connaissances, a-t-il dit. On vous demande un mandat national pour aller plus loin et démontrer que le système biologique fonctionne. »

Simon Dugré, coordonnateur du centre d’innovation sociale en agriculture (CISA) Louis-Samuel Jacques, Institut national d’agriculture biologique (INAB) du CÉGEP de Victoriaville, Jean Duval coordonateur du Centre d’expertise de et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+) Photo : Martin Primeau / TCN
Simon Dugré, coordonnateur du Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA), Normand Poniewiera, de l’Institut national d’agriculture biologique (INAB) du Cégep de Victoriaville, Jean Duval coordonnateur du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+) Photo : Martin Primeau/TCN

M. Poniewiera était accompagné de Simon Dugré, coordonnateur du Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA), et de Jean Duval, coordonnateur du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+). M. Duval a été interrogé par Sylvain Roy, député péquiste de Bonaventure, sur une question qui le taraudait depuis la présentation du producteur Jocelyn Michon, au jour 1 des auditions. « Est-ce que c’est possible de faire du semis direct sans glyphosate? » M. Duval a admis qu’« appliquer la méthode en semis direct sans glyphosate, ce n’est pas possible ».

Le glyphosate sur la sellette

Le glyphosate était justement au cœur des propos de Louise Vandelac, sociologue affiliée à l’UQAM, qui milite aussi depuis plusieurs années pour que des recherches scientifiques indépendantes soient menées sur les pesticides.

Attirant l’attention des membres de la CAPERN sur une série d’études qui venaient appuyer son propos, la sociologue a demandé à ce que le Québec suive « les plus hauts standards internationaux » sur le sujet, citant la France en exemple et demandant même la tenue d’« audiences publiques sur les pesticides ».

Mme Vandelac a suggéré que l’on suive aussi l’exemple français en matière de protection des travailleurs agricoles. « En France, on reconnaît la maladie de Parkinson et les hémopathies malignes [lymphomes non hodgkiniens] comme des maladies professionnelles, a-t-elle dit. Je pense que le travail doit être fait au Québec. »


Ce qu’ils ont dit

« Ce que le CÉROM propose, c’est d’intégrer les données. Aussitôt que vous changez de tracteur, les données ne marchent plus [actuellement]. On souhaite que tous les systèmes puissent se parler pour éviter que les producteurs soient pris en otage. » Gabriela Martinez, directrice générale du CÉROM

Photo: Martin Primeau/TCN
Photo: Martin Primeau/TCN

« Quand un producteur décide d’aller vers des changements dans sa façon de faire l’agriculture, il s’expose à des pertes de rendement et de productivité et à des coûts financiers supplémentaires. Et on ne croit pas qu’il doive les assumer seuls. C’est une décision de la société, et le partage de ce risque-là doit être réparti dans l’ensemble de la population. » Jocelyn St-Denis, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec

Photo : Martin Primeau/TCN
Photo : Martin Primeau/TCN

« L’agriculture québécoise est l’une de celles qui pourraient tirer le plus de bénéfices des changements climatiques, mais si on veut se préparer, il faut le faire dès maintenant et penser aux cultures qu’on voudra avoir dans 10-20 ans. » – Guy Debailleul, co-président de l’Institut Jean-Garon