Ma famille agricole 6 septembre 2020

Une famille soudée par la différence

HENRYVILLE – Michel Lord a toujours voulu élever une famille de quatre enfants sur la terre défrichée par son arrière-grand-père, à Henryville, en Montérégie. Ce projet de vie aurait pu s’écrouler si sa conjointe Ana Maria Martin et lui n’avaient su surmonter ensemble les épreuves provoquées par la naissance d’un enfant différent.

Michel Lord a littéralement grandi sur un tracteur. Il était encore en bas âge lorsque son père et son grand-père se sont mis à le trimballer dans les champs. « Je dormais dans les ­tracteurs », dit-il.

Dans l’esprit de ce benjamin d’une fratrie de quatre enfants, le cours naturel des choses le destinait à reprendre, un jour, la ferme laitière fondée par son aïeul et à élever, lui aussi, une famille de quatre enfants. Les mots « parce que » lui suffisent pour justifier cet idéal de vie.

C’est ainsi qu’il a su convaincre sa future conjointe, Ana Maria Martin, fille d’immigrants espagnols, de quitter la vie de banlieue à Laval pour venir fonder une famille à la ferme. Un premier fils, Miguel, est né. Puis, deux ans plus tard, Antoine. Les choses se sont alors compliquées.

« Tout semblait correct à sa naissance, mis à part sa petite taille », raconte Ana Maria. Mais Antoine recevra un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme à l’âge de 4 ans. Puis, l’an dernier, on lui a découvert une anomalie du chromosome 20 qui provoque le syndrome ADNP. Cette maladie extrêmement rare se caractérise notamment par une déficience intellectuelle et des troubles de motricité.

L’aîné des quatre garçons, Miguel, se fait un plaisir d’emmener son frère Antoine dans les champs. « Il faut juste s’assurer de bien fermer le moteur si on le laisse seul quand on descend du tracteur, même quelques instants », précise-t-il.
L’aîné des quatre garçons, Miguel, se fait un plaisir d’emmener son frère Antoine dans les champs. « Il faut juste s’assurer de bien fermer le moteur si on le laisse seul quand on descend du tracteur, même quelques instants », précise-t-il.

Devant l’épreuve, malgré les trois visites hebdomadaires à l’hôpital Sainte-Justine qui exigeaient de traire les vaches avant le lever du soleil, le couple n’a pas dérogé du plan de match. Ana Maria donnera naissance à deux autres garçons, Enzo et Rafaël, avant de devenir propriétaire de la ferme familiale avec Michel en 2013. 

« Le mot ‘‘familial’’ prend tout son sens avec Antoine, car on ne peut y arriver que si tout le monde met la main à la pâte. On est unis; c’est notre force », souligne Ana Maria. Miguel, Enzo et Rafaël ont donc été initiés très tôt au travail de la ferme. Et chacun se fait un devoir de garder un œil bienveillant sur Antoine, inconscient des dangers qui l’entourent.

Ainsi, comme Michel l’avait imaginé, la vie suit son cours. Son aîné poursuit ses études collégiales en agriculture dans le but, un jour, de poursuivre la tradition familiale. Pourquoi? « Parce que », répond-il simplement. 

Apprendre d’un frère différent

L’aîné de la famille, Miguel, le dit sans fausse pudeur : grandir avec un frère comme Antoine lui a appris assez tôt à prendre les tracas de la vie avec philosophie. « Grandir avec lui m’a obligé à prendre mes responsabilités et à travailler sur moi-même. Je sais, par exemple, qu’il ne sert à rien de me fâcher contre lui. De toute façon, il ne me répond pas. Je dois donc apprendre moi-même comment gérer seul ces situations-là. Et j’en tire des leçons qui me serviront toujours », dit-il, avant d’inviter Antoine à monter dans le tracteur avec lui.

https://www.desjardins.com/