International 8 mars 2017

L’effet Trump déstabilise les agriculteurs américains

WASHINGTON — Jusqu’où ira Donald Trump pour satisfaire les agriculteurs qui ont massivement voté pour lui en novembre dernier et quel sera l’impact de ses politiques sur le Québec? Rien n’est moins sûr.

« On est très inquiets », a commenté Zippy Duvall, président de l’American Farm Bureau (AFB), la plus importante association de producteurs américains, lors d’un discours devant le forum annuel du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), le 23 février dernier.

Un décret du président américain Donald Trump rend en effet possible l’expulsion des travailleurs étrangers sans papiers, ce qui pourrait entraîner des pertes de 60 G$ pour le secteur agricole américain, selon l’AFB. La raréfaction de cette main-d’œuvre à bon marché pourrait faire monter les prix des aliments pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, y compris au Québec.

Zippy Duvall propose plutôt de régulariser la situation des travailleurs agricoles sans papiers établis aux États-Unis depuis longtemps et de créer un programme de travailleurs étrangers temporaires qui serait géré par l’USDA. « En fin de compte, on va importer notre main-d’œuvre ou on importera notre nourriture », prévient le représentant des agriculteurs.

« On est très inquiets », a commenté Zippy Duvall, président de l’American Farm Bureau (AFB), la plus importante association de producteurs américains. Crédit photo: Gracieuseté de la USDA.
« On est très inquiets », a commenté Zippy Duvall, président de l’American Farm Bureau (AFB), la plus importante association de producteurs américains. Crédit photo: Gracieuseté de la USDA.

Trois exigences relativement à Trump

« Trump a promis d’étendre nos marchés », a rappelé Zippy Duvall, qui répète à qui veut l’entendre que les agriculteurs ont joué un rôle dans l’élection du nouveau président et qu’ils s’attendent à un retour d’ascenseur en ce qui concerne leurs trois principales préoccupations par ordre d’importance : la réglementation trop lourde, l’accès à la main-d’œuvre et les accords de commerce.

La chose semble acquise en ce qui a trait à l’assouplissement des règles environnementales, mais c’est beaucoup moins clair pour les deux autres points. « Les agriculteurs apprécient leurs clients mexicains », a rappelé Zippy Duvall, soulignant implicitement que ce marché était compromis par les mauvaises relations politiques entre les deux pays depuis l’élection de Trump. « Il faut maintenir les gains de l’Accord de libre-échange nord-américain et du Partenariat transpacifique », insiste le président de l’AFB.

« On doit rester engagés », a lancé Zippy Duvall, qui estime que l’appui des producteurs à Trump en novembre ne sera pas suffisant. Il veut notamment s’assurer d’une politique agricole (Farm Bill) qui ne fera pas l’objet d’une coupe budgétaire comme dans les trois dernières versions. Zippy Duvall s’est montré très élogieux à l’égard du nouveau secrétaire américain à l’Agriculture, Sonny Perdue, dont la nomination n’avait toujours pas été approuvée par le Congrès au moment de publier. Le chef de l’AFB semblait avoir beaucoup plus confiance en lui qu’au nouveau président.

Impact au Québec

Le forum annuel de l’USDA permet de se faire une bonne idée des politiques agricoles américains à venir et d’entendre des experts de partout dans le monde sur l’évolution des marchés. Ces éléments ont inévitablement une influence sur l’agriculture au Québec puisque les États-Unis sont à la fois notre principal client et souvent notre principal concurrent sur les marchés.

Une dizaine de représentants du Québec étaient présents au forum de l’USDA pour les secteurs des œufs, du porc, de la volaille, du grain ainsi que l’Union des producteurs agricoles.

Maraîchers

Selon André Plante, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, « si Trump met sa politique en pratique, ça aura automatiquement un effet négatif sur les agriculteurs américains. Ils vont consacrer moins d’hectares aux productions maraîchères et nos prix vont monter ». Déjà, une politique californienne de régularisation des sans-papiers avait rendu l’accès à la main-d’œuvre plus difficile pour les producteurs de cet État puisque plusieurs travailleurs agricoles régularisés changeaient ensuite de secteur d’activité. Avec la sécheresse, cette pratique avait déjà provoqué une hausse des prix favorable aux agriculteurs du Québec en 2014 et 2015. L’expulsion de plusieurs autres travailleurs accentuerait cette pénurie de main-d’œuvre. Le prix des fruits et légumes augmenterait alors aux États-Unis et sur le marché nord-américain et québécois.

Producteurs de grains

« Le constat est lourd pour la compétition à l’international », retient Étienne Lafrance, économiste aux Producteurs de grains du Québec. L’Argentine et le Brésil s’apprêteraient à investir beaucoup dans leurs infrastructures de transport du grain et la Russie se positionne aussi très bien avec un coût de production de seulement 93 $ US la tonne pour le blé. L’USDA prévoit tout de même que le prix du maïs et du soya devrait être stable et que celui du blé serait en hausse de 0,45 $ US le boisseau.

Producteurs d’œufs

« Les poules en liberté, ce n’est pas vrai que ça va marcher tant que ça », résume Serge Lebeau, directeur général de la Fédération des producteurs d’œufs du Québec. Le marché américain compte maintenant 5 % de poules en liberté, mais est « très sensible au prix ». La croissance de ce marché pourrait donc être limitée.

Producteurs de porcs

« On parle de production record, 5 % de plus de porc cette année, et chaque nouvelle carcasse doit être vendue à l’étranger. Si les États-Unis subissent des difficultés à l’exportation, les prix qu’ils reçoivent pour les coupes et le porc vivant pourraient s’en ressentir. Et les nôtres aussi, étant donné que les prix qui nous sont offerts sont basés sur les prix américains », fait valoir Vincent Cloutier, conseiller stratégique aux Éleveurs de porcs du Québec. Les difficultés américaines à exporter pourraient nous ouvrir des portes, mais l’incertitude plane.