Forêts 3 janvier 2019

Traitement de l’eau et du concentré d’érable par microfiltration, à l’érablière

L’eau d’érable à l’état naturel représente un grand potentiel économique. Il faut toutefois que les procédés de stabilisation permettent de conserver ses caractéristiques intrinsèques. En ce sens, depuis 2005, la filière acéricole du Québec a multiplié les efforts en recherche et développement afin d’acquérir et de maîtriser les connaissances nécessaires pour la mise en œuvre des procédés de stabilisation de l’eau d’érable, de la récolte à la mise en marché. 

Dans un premier temps, une caractérisation complète de l’eau d’érable à l’état naturel a été faite : propriétés physico-chimiques, profils de la chimie fine, composés bioactifs, charge microbienne, etc. 

Ensuite, en 2011, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec a évalué à l’échelle laboratoire la performance de différents procédés visant à assurer la conservation et l’innocuité de l’eau d’érable, tels que la pasteurisation et la stérilisation (UHT1 et HPP2), et ce, en veillant à préserver la composition et les qualités sensorielles de l’eau d’érable.

Au printemps 2012, la Fédération a procédé à des tests pilotes afin de valider à une échelle semi-industrielle les conclusions obtenues en 2011. Des paramètres associés à la récolte, à la filtration, au transport, à la stabilisation, à l’empaquetage et à la durée de conservation de l’eau d’érable ont ainsi été ciblés. 

À la suite de ces tests, la Fédération a validé la fiabilité du procédé de stabilisation de l’eau d’érable par stérilisation UHT et embouteillage aseptique dans des contenants TetraPak. Finalement, en 2013, la mise en marché expérimentale d’eau d’érable a vu le jour. Depuis, plus de 5 millions de litres d’eau d’érable ont été livrés vers différentes usines alimentaires pour leur mise en contenant final. Ces opérations ont été rendues possibles grâce à l’arrivée de la technique de microfiltration à l’érablière.

Membranes de microfiltration

L’utilisation de membranes de microfiltration permet de retirer de l’eau d’érable des particules en suspension d’un diamètre supérieur à 0,1 micron (environ 1/500e de l’épaisseur d’une feuille de papier). Ainsi, les levures, les moisissures et la majorité des bactéries s’y trouvant peuvent être enlevées. Ce traitement permet de rallonger le temps de conservation de l’eau d’érable, et par conséquent, le temps pour son entreposage et son transport.

De nos jours, les techniques membranaires sont largement utilisées dans l’industrie alimentaire (jus et concentrés de fruits et légumes, boissons, lait, bière, ovoproduits, traitement des eaux, etc.). 

Dans le domaine acéricole, les équipements d’osmose inverse sont en fonctionnement depuis quelques décennies. Ceux de nanofiltration sont plus récents. Toutefois, la mise en œuvre optimale d’un tel équipement doit tenir compte des caractéristiques des membranes utilisées et de leur aptitude au colmatage. Les travaux de recherche réalisés ces dernières années sur le terrain ont permis de valider la faisabilité d’un procédé de microfiltration sanitaire à l’érablière utilisant des cartouches de microfiltration (filtres) stériles et jetables.

Pendant plusieurs années, ce procédé a été utilisé en mode production à l’aide de filtres ayant une taille de pores de 0,8 micron. Dernièrement, en 2017, des filtres à 0,45 micron ont été testés lors d’une production d’eau d’érable microfiltrée au printemps. Un débit volumique de l’ordre de 80 USGPM (3,68 L) est couramment utilisé pour traiter des volumes d’environ 30 000 L par lot (camion-citerne). L’eau d’érable respectant le barème établi était entreposée dans un bassin de l’érablière, traitée par microfiltration en temps réel et transférée dans le camion-citerne qui assurait son transport vers l’usine alimentaire. 

L’opération de microfiltration a été suivie dans le temps et des échantillons d’eau d’érable ont été analysés avant et après le traitement de microfiltration. Les mesures de l’ATP3, de la turbidité4, du degré Brix, du pH et de la température ont été effectuées en suivant les protocoles établis par le programme de contrôle de qualité NAPSI. 

Des analyses microbiologiques ont aussi été réalisées dans un laboratoire certifié afin d’évaluer l’effet du seuil de coupure5 du filtre sur certaines caractéristiques et la charge microbienne présente dans l’eau d’érable.

Dans l’eau d’érable microfiltrée, l’utilisation des filtres à 0,45 micron a permis, de façon générale, de réduire de 95 % la valeur d’ATP (figure 1) et d’environ 67 % la valeur de la turbidité (figure 2) par rapport aux valeurs mesurées dans de l’eau d’érable non traitée. Quant aux autres paramètres de la norme du programme de qualité NAPSI, ils restent sensiblement à la même valeur que celle mesurée avant le traitement de microfiltration. En ce qui concerne la charge microbienne, des abattements6 d’environ 99,9 % sont observés pour les levures, les moisissures et les bactéries mésophiles (aérobies et anaérobies). À titre d’exemple, un cas est présenté aux figures 3 et 4.

D’autres microorganismes ont aussi été suivis, tels que des bactéries sporulées, coliformes, Salmonella spp, Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Bacillus cereus et Clostridium spp. Ces derniers n’ont pas toujours été présents dans l’eau d’érable à traiter.

Conclusions

À la lumière des résultats obtenus dans le cadre de cette recherche terrain, l’effet de la microfiltration de l’eau d’érable sur la charge microbienne de ce produit est confirmé. Il est aussi établi que la technique de microfiltration jumelée à un système de mise en contenant stérile7 serait un atout important pour le développement de la production d’eau et de concentré d’érable en érablière. 

En effet, un tel système couplé permettrait :

dans un premier temps, d’allonger le temps d’entreposage de l’eau et du concentré d’érable traités en érablière à au moins 72 heures;

à long terme, de développer une méthode de stérilisation à froid de l’eau et du concentré d’érable à l’érablière;

de rendre les producteurs acéricoles autonomes dans la récolte et la fourniture d’eau et de concentré d’érable;

à de plus petites érablières (moins 30 000 entailles) de devenir des fournisseurs d’eau d’érable certifiée NAPSI et de concentré d’érable.

À l’heure actuelle, d’autres techniques de filtration présentant un potentiel élevé pour le traitement de l’eau et du concentré d’érable sont en évaluation conceptuelle, telle que l’ultrafiltration (UF). Le développement de connaissances sur le comportement de l’eau et du concentré d’érable dans les équipements de filtration est aussi nécessaire pour mieux les concevoir et planifier leur entretien. Ce comportement dépend grandement des caractéristiques particulières de chaque matière première.

Alfa Arzate, ing. Ph. D. gestionnaire de projets
Dan Plamadeala chargé de projets, Fédération des producteurs acéricoles du Québec
 

Cet article est paru dans l’édition de novembre 2018 du magazine Forêts de chez nous.