Actualités 23 novembre 2022

Les porteurs forestiers gagnent du terrain

Déjà propriétaire de deux têtes d’abattage, Louis Quintal possède aussi deux transporteurs. Pour l’entrepreneur forestier de la région de la Mauricie, cet ajout à une flotte bien pourvue résulte avant tout des exigences du terrain. « On utilise le porteur de 16 tonnes Ponsse Buffalo pour faire de la coupe totale, de la coupe sélective et des éclaircies. On a choisi ce format parce que pour nous, c’était le meilleur compromis entre la productivité et la grosseur de la machine. On est allés au maximum de dimension que le terrain privé peut accepter », explique l’entrepreneur, qui travaille exclusivement sur des lots privés. 

« À partir d’une certaine grosseur, il y a d’autres contraintes qui découlent du fait qu’en lots privés, on déménage souvent. Certaines exigences de transport nous poussent vers un équipement plus gros, mais quand on fait de la coupe sélective et de l’éclaircie, un appareil trop gros n’est pas plus avantageux », commente M. Quintal, qui constate que les besoins évoluent en fonction des circonstances du terrain. « On a eu un porteur Ponsse Wisent de 12 tonnes pendant plusieurs années qui faisait le travail et on l’a bien apprécié. Mais sur les contrats où le débardage se faisait plus loin, il avait une capacité de chargement plus petite et en terrain plus montagneux, la capacité d’un 6 cylindres nous manquait », avoue M. Quintal, qui insiste aussi sur l’importance du service après-vente et de l’inventaire des pièces disponibles, quelles que soient les circonstances de travail. « Il y a beaucoup de pièces articulées et il faut avoir suivi une formation pour les manœuvrer. Il faut être aussi un peu formé pour les réparer. Dans le bois, il n’y a pas grand-chose qui ne se brise pas », ajoute-t-il en riant. 

L’entrepreneur forestier  Louis Quintal avec son Buffalo, un porteur  de 16 tonnes qu’il apprécie pour sa polyvalence et  sa robustesse. Photo : Gracieuseté de Louis Quintal
L’entrepreneur forestier Louis Quintal avec son Buffalo, un porteur de 16 tonnes qu’il apprécie pour sa polyvalence et sa robustesse. Photo : Gracieuseté de Louis Quintal

Des contextes variés, des machines sophistiquées

Lorsqu’on demande aux entrepreneurs forestiers ce qui motive leur décision d’investir dans un porteur, le rendement et les coûts d’exploitation sont les considérations les plus souvent citées. Les impératifs de productivité exigent des machines mieux adaptées à nos forêts et aux réalités logistiques d’une multitude de secteurs et de professionnels, autant en forêt publique qu’en forêt privée. Mais, si les enjeux se ressemblent, les besoins ne sont pas nécessairement les mêmes partout.

« Chez les gens qui gagnent leur vie avec cette machine-là au Québec, les capacités de chargement varient entre 10 et 25 tonnes », explique à ce sujet Marc Lemieux, directeur des ventes et du développement d’affaires chez Hydromec, distributeur des équipements finlandais Ponsse.

Le 1010G de 12 tonnes est construit avec un empattement plus court qui facilite les manœuvres en terrain irrégulier sans compromettre le volume de chargement. Photo : Gracieuseté de John Deere
Le 1010G de 12 tonnes est construit avec un empattement plus court qui facilite les manœuvres en terrain irrégulier sans compromettre le volume de chargement. Photo : Gracieuseté de John Deere

« Dans le sud de la province, ils font du boisé privé : ils peuvent travailler pour des groupements forestiers ou acheter eux-mêmes des terres, faire des coupes sélectives et mettre en valeur leur terre. Tandis que les travailleurs forestiers du nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean peuvent travailler pour de grosses entreprises d’exploitation forestière où ils coupent et transportent du bois à grande échelle », remarque M. Lemieux, qui souligne l’importance de bien saisir les besoins spécifiques de chaque secteur. « Chez les entrepreneurs en forêt publique, les transporteurs de 18 tonnes et plus ont la cote, mais dans le centre du Québec, jusqu’à 80 % de nos entrepreneurs travaillent en forêt privée. Même si la tendance est aux machines plus robustes, on ne recommanderait pas un équipement de 20 tonnes pour travailler à Sherbrooke, en Beauce, à Kamouraska ou dans le centre du Québec », relate-t-il. D’ailleurs, au rayon des gros porteurs, le Elephant King de Ponsse, spécialiste des charges maximales dans les conditions extrêmes, s’avère un choix populaire partout au Québec et dans l’est du Canada. Tandis que chez John Deere, c’est plutôt le système de contrôle intelligent de la flèche (IBC), en option notamment sur le 1910 G de 19 tonnes, qui compte parmi les caractéristiques prisées.

Le Felix à 6 roues s’utilise comme châssis court pour le bois long,  comme châssis combiné avec l’arrière télescopique pour le bois court  et long, et comme châssis long pour le transport. * Sur la photo, il s’agit d’une forêt européenne et non canadienne. Photo : Gracieuseté de Pfanzelt
Le Felix à 6 roues s’utilise comme châssis court pour le bois long, comme châssis combiné avec l’arrière télescopique pour le bois court et long, et comme châssis long pour le transport. * Sur la photo, il s’agit d’une forêt européenne et non canadienne. Photo : Gracieuseté de Pfanzelt

À l’autre extrémité du spectre, Sylvain Naud, un entrepreneur forestier spécialisé en coupe de précision, a quant à lui opté pour un porteur compact. Il exécute ses travaux en forêt privée, sur des mandats ciblés qui peuvent varier de 2 à 15 hectares. « Quatre-vingt-dix pour cent du travail se fait en éclaircie, en plantation, en coupe de martelage dans les érablières, en protection de régénération, ou en coupe par bandes qui seront replantées ou qui vont s’ensemencer naturellement. Ce sont presque toujours des travaux prescrits par un ingénieur forestier », explique l’entrepreneur de Saint-Étienne-des-Grès, qui attendait la livraison d’un tout nouveau porteur lorsque Forêts de chez nous l’a contacté.

Dotée d’une capacité de chargement de trois tonnes, cette machine « légère » de 3 800 kilos répond à une préoccupation importante de ce secteur : minimiser l’impact au sol. « Il peut être nécessaire de protéger une essence », explique M. Naud. « Protéger une essence exige parfois d’en enlever une autre. Il faut procéder sans briser ce qu’on doit protéger. Ça nécessite un maniement de grue plus précis, une machine moins lourde qui aura peu d’impact au sol, même en terrain mou. On ne creusera pas le sol pour créer des ornières inutilement », précise l’entrepreneur, qui a su moduler son offre de service à une clientèle spécifique. « Tout le monde n’a pas nécessairement de grandes terres à bois. Certains ont de petites terres où ils veulent exécuter des travaux. Il faut les bons équipements pour les faire. »

Entièrement fabriqué au Québec, son mini porteur TS50 lui offre, entre autres avantages, un système de différentiels qui répartit en tout temps 50 % de la puissance de chaque côté, permettant une conduite plus précise. Sa faible consommation de diesel par volume débardé, soit entre 0,5 et 1 litre par corde (4 pieds x 4 pieds x 8 pieds), s’ajoute aux facteurs de rendement d’une machine conçue pour le travail dans les sentiers étroits.

 

Le prototype LF8 de FARMA est un porteur à faible impact d’une capacité de 8 tonnes qui vise le marché des petits exploitants forestiers. Photo : Gracieuseté de FORS MW
Le prototype LF8 de FARMA est un porteur à faible impact d’une capacité de 8 tonnes qui vise le marché des petits exploitants forestiers. Photo : Gracieuseté de FORS MW

Chez FARMA, le LF 8 de FORS MW, un prototype développé pour le segment des petits porteurs intermédiaires, suscite aussi beaucoup d’enthousiasme. « C’est une machine à faible impact d’une capacité de 8 tonnes, dotée d’une grue ayant une portée qui peut atteindre 10,2 m. Sa transmission innovante permet une vitesse de 25 à 30 km/h, sous réserve bien sûr des restrictions de chaque pays », explique Ulrica Fors, cheffe de l’exploitation du manufacturier basé en Estonie. « Bien qu’un certain nombre de petits porteurs soient apparus depuis 2011, l’offre dans le segment du 8 tonnes reste assez peu développée et FARMA y voit un marché. On s’adresse au propriétaire forestier indépendant qui protège à la fois sa forêt et son portefeuille », ajoute Mme Fors, qui souhaite donner à davantage de petits exploitants la possibilité de posséder leur propre porteur. Ce concept avant-gardiste sera présenté au public en mars 2023.

Le Felix 4 WD est équipé de système de vérins compensateurs sur l’essieu arrière, ce qui procure une meilleure stabilité de la plateforme de chargement lorsque le tracteur est en dévers. * Sur la photo, il s’agit d’une forêt européenne et non canadienne. Photo : Gracieuseté de Pfanzelt
Le Felix 4 WD est équipé de système de vérins compensateurs sur l’essieu arrière, ce qui procure une meilleure stabilité de la plateforme de chargement lorsque le tracteur est en dévers. * Sur la photo, il s’agit d’une forêt européenne et non canadienne. Photo : Gracieuseté de Pfanzelt

Autre spécialiste des lots privés, le Felix 4WD du constructeur allemand Pfanzelt intrigue d’abord par son apparence unique. Le « nez court » que lui confère sa cabine positionnée très en avant a d’abord pour fonction de dégager une visibilité maximale de la zone de travail. Cet angle d’attaque optimal, qui s’explique par la distance entre l’essieu avant et le tablier avant, permet aussi de réduire l’impact au sol. Son double système de direction combine essieu arrière directeur et articulation centrale, ce qui procure un angle de braquage pouvant aller jusqu’à 70°. Également offert en version 6 roues, ce champion des accès complexes est importé au Canada par Gespro Équipement. 

Le modèle de série Buffalo est composé  de machines de base à 6 et 8 roues qui peuvent être modifiées de plusieurs façons. Photo : Ponsse
Le modèle de série Buffalo est composé de machines de base à 6 et 8 roues qui peuvent être modifiées de plusieurs façons. Photo : Ponsse
Pour François Bourdoncle, technologue forestier à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce, il faut d’abord déterminer ses besoins avant d’investir. Photo : Gracieuseté de François Bourdoncle
Pour François Bourdoncle, technologue forestier à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce, il faut d’abord déterminer ses besoins avant d’investir. Photo : Gracieuseté de François Bourdoncle

Le message à retenir

Technologue forestier à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce, François Bourdoncle résume bien ce qui doit primer dans le choix d’un équipement forestier. Pour lui, la démarche d’acquisition d’un porteur commence par une analyse réaliste des besoins sur le terrain. « Ça prend vraiment un équipement adapté au type de coupe qu’on fait. Pour faire de l’éclaircie, un porteur de 10-12 tonnes qui ne fait pas beaucoup de marques au sol est idéal. On peut avoir des grues dotées d’une assez longue portée, qui ne sont pas trop larges et qui se promènent partout.

Une machine plus légère sera tout indiquée pour les coupes sélectives, tandis qu’une machine trop lourde ne fera pas le travail pour ça », raisonne-t-il. « Les gens qui font de la coupe intensive vont choisir des équipements dotés d’une plus grande capacité de chargement pour réduire les coûts. Ils vont charger plus, rapidement, et ça va coûter moins cher au bout du compte. » Même si les prouesses techniques de ces équipements sont impressionnantes, M. Bourdoncle estime qu’il n’existe pas de solution universelle. « Il n’y a pas de machine idéale capable de tout faire à 100 %.

Il n’y a pas de couteau suisse. Il faut vraiment cibler le type de travaux qu’on va faire avant de choisir la machine [idéale pour ses besoins.] ».

Nathalie Laberge, collaboration spéciale


Ce texte a été publié dans la revue Forêts de chez nous du 2 novembre 2022.