Forêts 8 juin 2019

Le pour et le contre des maîtres-lignes air-eau

Devant la promesse de meilleurs rendements, plusieurs acériculteurs se tournent vers les maîtres-lignes air-eau. Des experts appellent toutefois à la prudence, puisque le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle.

Alors que de plus en plus d’acériculteurs adoptent un système de maîtres-lignes air-eau, les points de vue divergent quant aux avantages de cette nouvelle technique de production, qui n’est pas pertinente pour toutes les érablières.

Contrairement aux systèmes traditionnels de tubulures où un seul tube contient à la fois l’eau qui coule vers la cabane et l’air à évacuer du réseau, le système air-eau compte un tube pour le transport de l’eau (bleu) relié à un autre tube pour l’air (noir), installé juste au-dessus. Comme le tube du bas est réservé au transport de l’eau, il est possible de brancher plusieurs milliers d’entailles sur un tel système.

« Avant, on partait de la cabane et on s’en allait au point le plus élevé avec notre maître-ligne, du bas vers le haut. C’était la technique de la ride de poisson, illustre le copropriétaire de l’érablière Groupe acéricole A. C. Varin, Claude Varin. Avec un système air-eau, c’est comme si on faisait couler une grosse chaudière d’eau au-dessus de l’érablière. On regarde où l’eau s’en va de façon naturelle et c’est là qu’il faut mettre nos lignes. »

L’eau coule donc dans les tuyaux 5/16 po, se jette dans des tuyaux collecteurs puis dans un maître-ligne air-eau.

Pour : de bons rendements chez certains

En 2015, Claude Varin a installé un système air-eau dans son érablière de 17 000 entailles. Il assure avoir vu une bonne différence dans son rendement. « Est-ce que c’est la température qui a été clémente ou c’est le fait d’avoir un système air-eau? Je pense que c’est un peu des deux. »

L’acériculteur et représentant pour les Équipements acéricoles CDL, Guy Breault, est convaincu des avantages de la méthode air-eau. Il estime que le rendement de ce système est supérieur de 25 % au système traditionnel.

Le conseiller pour le Club d’encadrement technique acéricole des Appalaches, Joël Boutin, émet quant à lui un bémol sur cette nouvelle technique, qu’il qualifie de « mode ». Selon lui, l’approche air-eau n’apporte pas nécessairement de rendement supérieur. Peu importe la méthode choisie, dit-il, le rendement repose avant tout sur un système bien pensé, une tubulure de bonne dimension et bien installée.

Contre : le double du prix

Les maîtres-lignes air-eau coûtent entre 10 $ et 13 $ par entaille, soit environ le double d’un système traditionnel.

Pour éviter de jeter son argent par les fenêtres, conseille Joël Boutin, il faut évaluer la pertinence du système air-eau pour chaque érablière, en observant la topographie du terrain et le nombre d’entailles.

Pour : remplace une grosse tresse de tuyaux

« Il faut regarder où on mettrait nos maîtres-lignes traditionnels. S’ils arrivent tous indépendamment à la station de pompage,
le système traditionnel fera l’affaire. Au contraire, si j’ai plus de 1 500 entailles qui arrivent dans un même corridor en une grosse tresse de tuyaux, alors la méthode air-eau devient un outil intéressant. »

Les maîtres-lignes air-eau permettent ainsi de mieux desservir de grands secteurs. « Ça remplace entre autres les répartiteurs de vide (tanks de transfert) qui ne fonctionnaient pas bien en terrain plat », souligne M. Boutin.

Pour : agrandissement possible

La méthode air-eau permet également d’agrandir une érablière sans recommencer tout le système de tubulures. Il suffit d’ajouter un tube d’air au-dessus d’un maître-ligne traditionnel pour en augmenter la capacité, explique l’ingénieur forestier pour SNG Foresterie-Conseil, Francis Dompierre.

« Dans certaines érablières, c’est parfaitement approprié. Par contre, il ne faut pas en faire une religion et en mettre partout », prévient le conseiller Joël Boutin. Attention aux terrains trop accidentés, par exemple, où il est plus difficile d’installer des maîtres-lignes air-eau.

Avant d’opter pour cette nouvelle méthode, les producteurs devraient se tourner vers un spécialiste acéricole qui pourra étudier le terrain et faire des propositions appropriées, conseille M. Boutin.

Contre : fuites plus complexes à gérer

Étant donné que le système air-eau est considéré comme « à haut vacuum », la gestion des fuites est plus complexe. « Ça gèle immédiatement, même quand il fait chaud », indique Claude Varin. C’est pourquoi l’acériculteur suggère d’installer des capteurs de vacuum afin de détecter rapidement les fuites à réparer. « Mes capteurs sont reliés à mon cellulaire, parce qu’avec un système air-eau, il faut vraiment que tu t’occupes de tes fuites. »

Pour Francis Dompierre, il est primordial de prendre ces risques en considération avant de choisir la méthode air-eau. « Si toutes mes entailles s’en vont sur mon maître-ligne air-eau et que j’ai une fuite, ça devient problématique. Si j’ai plutôt trois maîtres-lignes traditionnels, je divise mes risques en trois », affirme l’ingénieur forestier, qui préfère conseiller ce genre de systèmes indépendants.

À ses yeux, il ne faut pas toujours se laisser tenter par les installations complexes et la possibilité d’un meilleur rendement. « Il faut se fier aux principes physiques et bien penser notre érablière plutôt que de chercher des solutions miracles qui occasionnent souvent plus de risques pour notre production. »


Pour éviter le gel, la famille Breault a installé ses tuyaux à environ trois pieds sous terre. Crédit photo : Gracieuseté de Guy Breault
Pour éviter le gel, la famille Breault a installé ses tuyaux à environ trois pieds sous terre. Crédit photo : Gracieuseté de Guy Breault

De gros tuyaux enfouis

La plupart des systèmes air-eau ont des tubes de 1,25 po à 1,5 po de diamètre selon le nombre d’entailles. Certains producteurs vont toutefois jusqu’à installer des tuyaux de 3 po.

C’est le cas notamment de Guy Breault et de son fils Guillaume, qui possèdent 27 000 entailles à Rawdon dans Lanaudière. Comme ces gros tubes de 3 po sont plus coûteux et qu’il est plus difficile de les installer sur une longue distance en forêt, les Breault ont opté pour une installation sous terre. « C’est beaucoup moins d’ouvrage au final, assure Guy Breault. Ça ne gèle pas et tu n’as pas de risques qu’une branche tombe dessus ou qu’un animal s’amuse à le mâchouiller. »

Un conseiller acéricole pourra suggérer la couleur de tube à utiliser selon l’exposition au soleil. Gracieuseté de Kaven Lavallée
Un conseiller acéricole pourra suggérer la couleur de tube à utiliser selon l’exposition au soleil. Gracieuseté de Kaven Lavallée

La couleur des tubes

Lorsque les entailles sont sur le versant nord d’une pente, les deux tuyaux air-eau peuvent être noirs afin d’accélérer le réchauffement par le soleil.

Dans tous les autres cas, l’eau doit circuler dans un tube bleu pour éviter de surchauffer. « Quand il fait soleil, l’eau dans un tube noir peut monter jusqu’à 50 °C de plus que la température extérieure, indique Guy Breault. Disons que les bactéries ont du fun à ce moment-là. »

Étienne Dupuis, collaboration spéciale

Cet article est paru dans l’édition de mai 2019 du magazine Forêts de chez nous.