Forêts 3 mars 2022

Le point sur le combat du bois

Les producteurs de bois de la forêt privée, les acheteurs de bois (scieries) et certains grands propriétaires de lots boisés se livrent présentement une guerre de tranchées qui assombrit leurs relations tout en coûtant une fortune en frais d’avocats.

À la base du conflit se trouve la volonté des producteurs de trois régions de négocier collectivement le prix de leur bois destiné à l’industrie du sciage. Ils veulent un meilleur prix, et aussi gérer les livraisons de bois, ce qui ne plaît pas à des usines de sciage et à des entrepreneurs.

Vincent Lévesque
Vincent Lévesque

Au cours de la dernière année, les producteurs forestiers du Sud du Québec ainsi que de la Côte-du-Sud, secteur situé à l’est de Québec, ont vu leur demande respective de négocier collectivement la mise en marché du bois de sciage être refusée par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec. Elle a tranché en faveur des arguments des opposants dans le cas du Sud du Québec. Même s’il a été secoué par cette décision, le président du Syndicat des producteurs forestiers du Sud du Québec, André Roy, compte revenir à la charge devant la Régie. « Il y a énormément de producteurs indignés [de ne pas recevoir leur part de la hausse du prix du bois]. On a l’intention de régler ça cette année. La volonté des producteurs est là », affirme-t-il. 

De son côté, le Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec avait réussi à faire approuver, en juillet dernier, un plan conjoint sur le bois de sciage par la Régie. Mais des opposants, dont quatre scieries, le contestent présentement devant la Régie. De plus, le directeur du Syndicat, Vincent Lévesque, rapporte de graves difficultés à faire accepter ce plan conjoint aux dirigeants de l’ensemble des scieries de sapins et d’épinettes de sa région. « Ils ont comme mot d’ordre très visible de ne pas négocier le prix avec nous. Certains d’entre eux ont demandé à la Régie de l’annuler ou de le modifier [le plan conjoint]. On fait face à une grande opposition. C’est difficile et exigeant financièrement », résume-t-il. M. Lévesque précise qu’un ou deux avocats représentent chacun des opposants. « Ça représente plusieurs centaines de milliers de dollars en frais d’avocats pour l’industrie contre nous », analyse-t-il.

Une gestion de risque à partager

Le directeur du Conseil de l’industrie forestière du Québec, Jean-François Samray, ne veut pas commenter le cas du plan conjoint du Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec en raison de la tenue des audiences devant la Régie ces jours-ci. Il affirme cependant que la hausse du prix du bois d’œuvre depuis 2020 ne représente pas l’ensemble du portrait. D’une part, les scieries ont de la difficulté à obtenir un bon prix pour l’écorce, les copeaux et autres coproduits, qui représentent près de 50 % d’une bille de bois lorsqu’elle est sciée en planches, explique-t-il. D’autre part, il souligne que les scieries ont été déficitaires pendant près d’une décennie.

M. Samray insiste sur la notion de gestion de risque qui, selon lui, repose entièrement sur les épaules des scieries présentement. Il dit que les producteurs de bois peuvent décider de ne pas récolter leurs arbres si les prix offerts sont bas, tandis que les scieries doivent affronter des marchés changeants, parfois à perte. Il milite pour que les producteurs et les acheteurs s’entendent sur un mécanisme qui partagera le risque des marchés équitablement. Il aimerait aussi que l’entente prévoie un concept d’approvisionnement prévisible, autant en quantité qu’en qualité, avec des dates de livraison prévues et respectées de la part des producteurs.


Une guerre de mots

La lutte qui oppose les producteurs de bois de la forêt privée et certains de leurs acheteurs au sujet des fameuses conventions collectives de mise en marché du bois de sciage se joue aussi en coulisses.

En décembre dernier, quatre dirigeants de scieries des secteurs de Québec et de la Beauce ont envoyé une lettre au ministre de l’Agriculture et à d’autres ministres du gouvernement du Québec pour se plaindre que des interventions publiques de l’Union des producteurs agricoles (UPA) semblent vouloir ébranler des principes fondamentaux d’impartialité « en invitant le gouvernement a s’ingérer directement dans la direction que doit prendre la Régie [des marchés agricoles et alimentaires du Québec] par ses régisseurs, dans ses décisions », indique cette lettre datée du 30 décembre dont La Terre a obtenu copie. L’UPA a aussitôt répliqué en écrivant aux mêmes ministres que ladite lettre comporte des propos de nature diffamatoire et insidieuse envers l’UPA, précisant que les signataires ont volontairement changé, dans leur lettre, les mots du texte de la résolution adoptée par l’UPA au début décembre « afin de tromper le ministre sur la véritable demande de l’UPA, et ce, dans l’intention de lui nuire au sein de l’opinion publique. Mentionnons que l’UPA appuie les ­syndicats de producteurs en forêt privée en finançant une partie de leur lutte à même son fonds de défense professionnelle.

Et dans les journaux

La confrontation s’est aussi transportée sur les médias sociaux et dans quelques médias régionaux, comme le journal Actualités – L’Étincelle, en Estrie, dans lequel a été publiée le 12 janvier une publicité véhiculant que le Syndicat des producteurs forestiers du Sud du Québec (SPFSQ) tente de prendre contrôle de la mise en marché collective du bois de sciage « afin de donner davantage de pouvoir aux groupements forestiers ». On y affirme aussi que la mise en marché collective se traduira par une perte de contrôle pour le producteur de ses livraisons de bois, du coût de livraison, etc. La publicité était signée par l’Association de défense des producteurs forestiers, qui regroupe des entrepreneurs, notamment. Cette pratique a fait sourciller le président du SPFSQ, André Roy. « Ils ont beurré épais. On exige une rétraction de leur part. Sinon, ce sera une poursuite en diffamation », ­réagit celui qui n’avait pas vu une telle ambiance depuis 30 ans. « C’est clair qu’on dérange du monde. Mais parfois, il faut déranger », signifie-t-il.