Actualités 27 février 2023

La sylviculture pour adapter les forêts aux changements globaux

Les écosystèmes de la planète sont soumis à un rythme de changements qu’ils n’ont jamais connu auparavant. L’augmentation rapide des températures moyennes causée par l’utilisation de combustibles fossiles qui relâchent des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ou la prolifération de plantes ou d’insectes exotiques envahissants qui résulte de l’augmentation des échanges commerciaux, sont quelques-unes des modifications caractéristiques des changements globaux auxquels la planète est soumise.

Les changements globaux exerceront d’énormes pressions sur les forêts du monde. Nous pouvons déjà observer certains de leurs effets chez nous, comme le dépérissement de forêts causé par la sécheresse ou par des épidémies d’insectes qui étaient jusqu’à tout récemment absents du continent. D’autres effets sont à prévoir, mais plusieurs d’entre eux demeurent incertains. La fréquence de tels événements devrait augmenter dans les décennies à venir, ce qui aura des impacts concrets sur la capacité des forêts à générer les biens et services qui en sont attendus et auxquels la société est attachée. Les changements globaux risquent d’influencer par exemple la production de bois d’essences de haute valeur économique, la présence d’habitats adéquats pour maintenir la diversité animale ou végétale, ou la production de produits forestiers non ligneux comme le sirop d’érable ou les champignons.

La sylviculture d’adaptation

Quelles options s’offrent aux propriétaires de boisés face à ces phénomènes globaux? L’une des réponses se trouve dans la sylviculture d’adaptation. La sylviculture est une discipline de la foresterie qui concerne l’établissement, la composition, la croissance, l’état de santé et la qualité des peuplements forestiers. Elle consiste à observer l’état des forêts et à anticiper leur évolution pour appliquer des traitements de régénération, d’entretien ou de récolte appropriés afin de produire les services attendus. Alors que les principes de la sylviculture ont été développés sur la base des expériences du passé, elle doit maintenant – et plus que jamais – être adaptée à un monde en changement et incertain.

De nombreuses équipes de recherche au Canada et ailleurs étudient et testent des approches de sylviculture d’adaptation aux changements climatiques et globaux. L’une d’elles consiste à augmenter la résistance ou la résilience des peuplements forestiers au climat futur, ou encore à favoriser leur transition vers des états qui seront mieux adaptés à ces conditions.

Les stratégies de résistance font appel à des traitements sylvicoles qui améliorent les défenses de la forêt contre les changements ou qui défendent directement la forêt contre les perturbations afin de maintenir des conditions relativement inchangées. Les stratégies de résilience impliquent, quant à elles, l’utilisation de traitements sylvicoles qui permettent un certain degré de changement dans les peuplements, mais qui encouragent le retour à un état antérieur ou à des conditions de référence souhaitées après une perturbation. Pour leur part, les stratégies de transition s’appuient sur des actions qui adaptent intentionnellement les peuplements forestiers aux changements et permettent aux écosystèmes de répondre de façon adaptative aux conditions nouvelles et changeantes. 

Les stratégies de résistance, de résilience et de transition des peuplements forestiers doivent être développées à la pièce, en fonction des contextes particuliers dans lesquels on désire les appliquer. Elles doivent tenir compte de l’état actuel des forêts (par exemple leur composition, leur âge et leur structure), des objectifs de production de ces forêts (par exemple le bois d’œuvre, le sirop d’érable ou les habitats fauniques), ainsi que des pressions futures auxquelles les forêts seront soumises (par exemple une augmentation des températures ou une diminution des précipitations).

Les stratégies d’adaptation font fréquemment appel à la migration assistée des essences forestières. Cette pratique, qui consiste à déplacer des essences vers des habitats climatiques auxquels elles sont adaptées, repose sur la connaissance des exigences climatiques des essences et des génotypes qui les composent, de même que sur les projections les plus à jour des climats futurs. Les scientifiques continuent de développer ces connaissances. Ils tentent également de comprendre les interactions entre les essences d’arbres utilisées pour la migration assistée et les autres composantes des écosystèmes hôtes, comme les sols, les plantes et les animaux.

Une expérience grandeur nature

Nous testons et démontrons ces concepts à l’échelle opérationnelle à la Forêt expérimentale de Petawawa. Gérée par le gouvernement fédéral, cette forêt de 10 000 hectares est située en Ontario, dans la région forestière des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Dominée par le pin blanc, le pin rouge, le chêne rouge, le bouleau jaune, l’érable à sucre et l’érable rouge, la Forêt expérimentale de Petawawa se trouve dans une région qui, en raison des changements climatiques, deviendra plus chaude et plus humide pendant l’automne, l’hiver et le printemps, mais plus sèche pendant l’été. Elle recevra plus de pluie, de glace et de neige pendant les mois d’hiver, ce qui pourrait entraîner une diminution de la fonte au printemps et un assèchement précoce du sol. On s’attend à ce que ces effets amplifient les conditions forestières plus chaudes et plus sèches pendant l’été et au début de l’automne.

À la Forêt expérimentale de Petawawa, la stratégie de résistance se concrétise par la régénération des peuplements de pins blancs avec une coupe progressive régulière, suivie de la plantation de plants de pin blanc provenant de sources locales et de régions plus au sud, adaptées aux climats futurs de la région. La stratégie de résilience consiste, pour sa part, en des traitements de régénération avec une coupe progressive irrégulière par trouées agrandies, suivie de la plantation de plants de pin blanc, de chêne rouge et de chêne blanc provenant de sources de semences du sud adaptées aux climats futurs. Finalement, la transition des écosystèmes est réalisée par l’utilisation d’une coupe totale avec rétention de 10 à 20 % du couvert, suivie de la plantation de plants de pin rouge provenant de sources locales ainsi que de pin rigide, de pin rouge, de chêne rouge et de chêne blanc provenant de sources de semences du sud adaptées aux climats futurs de la région de Petawawa.

Promouvoir la diversité

L’adaptation des forêts passe par la promotion de la diversité. Celle-ci doit se retrouver à plusieurs échelles. Par exemple, à l’échelle des peuplements forestiers, les travaux de recherche les plus récents démontrent qu’une diversité d’essences forestières caractérisées par des traits fonctionnels variés (par exemple des essences qui présentent différents types de feuilles, des profondeurs d’enracinement variées, des saisons de reproduction non synchronisées) auront davantage de chances de traverser les événements climatiques extrêmes ou de résister aux attaques de ravageurs que les forêts composées d’une seule essence ou d’essences aux traits similaires. 

À l’échelle des paysages ou des lots boisés, la diversité doit s’exprimer par l’adoption de stratégies variées de résistance, de résilience et de transition. Ce portfolio diversifié d’options d’aménagement pourrait notamment contenir des zones de conservation qui évolueront possiblement vers de nouveaux états en réaction aux changements globaux. Il pourrait également compter des zones où l’aménagement s’inspire des processus naturels, tout en s’adaptant à la vulnérabilité des peuplements pour faciliter la transition vers des états qui seront stables sous de nouvelles conditions climatiques. Le portfolio pourrait finalement comprendre des zones d’aménagement plus intensif dans lesquelles la production de services est maximisée sur de courtes périodes, ce qui limite l’exposition des peuplements aux aléas climatiques et autres changements globaux.

La sylviculture d’adaptation constitue un levier concret applicable à l’échelle des propriétaires de boisés pour soutenir l’aménagement durable des forêts dans un contexte de changements globaux. Sa mise en œuvre n’est toutefois pas simple. Les chercheurs explorent le cadre théorique, le potentiel et les limites de différentes stratégies d’adaptation alors même que les changements climatiques et autres pressions affectent déjà la santé et la productivité des forêts. Il en résulte un défi quotidien d’intégration des nouvelles connaissances dans la pratique forestière. Les échanges et interactions entre les chercheurs et les praticiens sont essentiels.

Petit lexique

Le génotype correspond à la constitution génétique d’un individu héritée de celle de ses parents. Une même espèce d’arbres est constituée d’individus ayant des génotypes différents, certains pouvant être mieux adaptés à des conditions climatiques particulières.

Les coupes progressives consistent en des séquences de coupes partielles, dont le but est d’établir la régénération sous un couvert forestier contenant des arbres matures. Elles se déclinent en différents procédés de régénération, soit la coupe progressive régulière et la coupe progressive irrégulière.

La structure d’un peuplement forestier réfère à la répartition des arbres selon les plans vertical (leur hauteur) et horizontal (leur diamètre), et selon la distribution des classes d’âge.

Un trait fonctionnel est une caractéristique d’un individu qui affecte sa performance. Le format des graines et leur mode de dispersion, le type de feuilles et l’architecture des racines sont des exemples de traits fonctionnels des arbres.  

Pour en savoir plus

Visionnez la présentation « Questions de régénération pour une sylviculture d’adaptation » sur la page YouTube de Ressources naturelles Canada

Consultez l’article « Sylviculture d’adaptation aux changements climatiques : des concepts à la réalité. Compte-rendu d’un colloque tenu au Carrefour Forêts 2019 » disponible gratuitement.

Contactez Anthony Bourgoin, coordonnateur des programmes et des projets forestiers au Centre canadien sur la fibre de bois, par courriel : [email protected].

Nelson Thiffault, ing.f., Ph. D., Centre canadien sur la fibre de bois, Ressources naturelles Canada


Cet article a été publié dans le magazine Forêts de chez nous de février 2023