Environnement 8 juillet 2020

Sauver la planète grâce aux cultures fourragères

Dans les mesures évoquées dans la lutte aux changements climatiques, il est surtout question de réduire l’utilisation des combustibles fossiles. Et si une partie de la solution se trouvait sous nos pieds? Deux spécialistes expliquent comment la culture de plantes fourragères permet de donner un coup de pouce à la planète tout en améliorant la santé des sols.

Si le secteur de l’énergie est souvent désigné comme le grand responsable de l’augmentation des gaz à effets de serre, ce serait vite oublier l’impact de l’utilisation du sol. En effet, une étude de 2010 évaluait que la déforestation et la mise en culture avait jusqu’alors relâché 320 milliards de tonnes de carbone dans l’atmosphère contre 292 milliards de tonnes pour la consommation de combustibles ­fossiles.

Marie-Élise Samson, agronome
Marie-Élise Samson, agronome

La façon dont on cultive le sol n’est pas étrangère à ce phénomène. Plus que la végétation ou l’atmosphère, les sols possèdent les plus grands stocks de carbone de la biosphère terrestre avec 2 400 milliards de tonnes, dont 20 % sont concentrés dans les prairies. « Lorsqu’une prairie fait place à une culture annuelle, une partie importante du carbone contenu dans le sol est minéralisée et relâchée dans l’atmosphère sous forme de CO2, explique Denis Angers, chercheur à la retraite chez Agriculture et Agroalimentaire Canada et spécialiste en gestion et conservation des sols. En sachant que les sols sous prairies contiennent de 20 à 30 % plus de carbone que ceux sous cultures annuelles, cela représente une différence significative à l’échelle globale. »

Une grande capacité de captage

Mais comment expliquer cet écart entre la capacité de stockage entre les sols sous prairies et sous cultures annuelles? « Le carbone stocké dans le sol provient des végétaux via la photosynthèse. Les plantes pérennes ont de meilleures capacités de fixer le CO2 essentiellement parce qu’elles recouvrent le sol plus longtemps et plus densément que les cultures annuelles, résume Denis Angers. Par évolution, ces plantes vivaces ont aussi la capacité de transférer une grande partie du ­carbone vers leur système racinaire. »

Enfin, le maintien de stocks élevés de carbone dans les sols sous prairies est également attribuable à la faible fréquence de travail du sol dans la rotation des cultures. 

Ainsi, la capacité de captage de carbone d’un champ de soya aux entre-rangs dénudés, sans culture de couverture ni culture automnale, est très faible comparativement à une prairie composée de plusieurs espèces fourragères.

Réintégrer les cultures fourragères

À ce chapitre, les terres agricoles au Québec ont connu une baisse importante de leurs stocks de carbone au cours des 50 dernières années, principalement en raison de l’abandon des prairies associées aux fermes laitières en faveur des cultures annuelles. « À l’heure actuelle, les sols agricoles au Québec relâchent plus de carbone qu’ils n’en captent. Cela s’est traduit à long terme par une diminution de la matière organique dans les sols, une perte de fertilité et des problématiques d’érosion », constate Marie-Élise Samson, agronome et candidate au doctorat en conservation des sols à l’Université Laval, qui donnait une conférence sur le sujet au Symposium Sols Vivants en avril dernier.

Pourtant, le climat de la planète aurait bien besoin de ces prairies. L’Initiative 4 pour 1000, un regroupement international d’acteurs publics et privés, considère qu’un taux de croissance annuel de 0,4 % des stocks de carbone du sol dans les premiers 30 à 40 cm de sol suffirait à réduire de manière significative dans l’atmosphère la concentration de CO2 liée aux activités humaines. 

À moins d’un revirement spectaculaire, les cultures annuelles sont là pour rester dans nos campagnes. « Cependant, il y a moyen de couvrir le sol plus longtemps et plus densément dans les cultures annuelles que ce soit par le biais de cultures de couverture, de cultures intercalaires ou d’engrais verts, fait valoir Marie-Élise Samson. Avec ces ­pratiques, les producteurs peuvent améliorer la santé des sols, tout en contribuant à la lutte aux changements climatiques. »

Qui plus est, l’intégration de cultures de couvertures dans ses rotations peut conférer au sol une plus grande résilience face aux aléas climatiques et peut avoir un effet bénéfique sur le rendement des cultures annuelles. Par exemple, l’utilisation de légumineuses en culture de couverture peut être avantageuse l’année précédent une culture exigeante en azote comme le maïs.

« Évidemment, la rotation entre cultures de ­couverture et cultures annuelles doit se faire de façon intelligente pour éviter que cela devienne un vecteur de maladies, mais bien planifiée et avec les bonnes connaissances, on peut obtenir plusieurs gains avec de faibles risques au niveau du rendement et peu d’investissements », ­souligne l’agronome.