Environnement 13 juillet 2022

Équipement : un laser qui mesure le carbone

Une technologie québécoise pourrait permettre aux agriculteurs de la province de tirer profit de la baisse exigée des émissions de gaz à effet de serre par le gouvernement fédéral. La firme LogiAg, de Châteauguay, propose le LaserAG, un outil de mesure de la quantité de carbone organique séquestré dans le sol, outil qui a d’ailleurs remporté le premier prix parmi 200 compétiteurs de partout dans le monde lors du Indigo Carbon Challenge l’an dernier.

« Quand on sait que chaque tonne de carbone retirée de l’atmosphère donne droit à un crédit de 50 $ la tonne en ce moment et qu’il devrait avoisiner 170 $ en 2030, on constate rapidement que les producteurs sont assis sur une véritable petite mine d’or. » - Jacques Nault  / vice-président agronomie et cofondateur de LogiAg
« Quand on sait que chaque tonne de carbone retirée de l’atmosphère donne droit à un crédit de 50 $ la tonne en ce moment et qu’il devrait avoisiner 170 $ en 2030, on constate rapidement que les producteurs sont assis sur une véritable petite mine d’or. » – Jacques Nault / vice-président agronomie et cofondateur de LogiAg

Le prix d’une tonne de carbone se situe à 50 $ en ce moment. D’ici 2030, il devrait atteindre de 150 à 170 $ la tonne, selon les prévisions des experts. Un producteur qui arriverait à augmenter la capture de carbone de ses champs de cinq tonnes à l’hectare en moyenne, par exemple, verrait ses efforts récompensés en espèces sonnantes et trébuchantes. 

Une condition pour toucher le magot, signale Marie-Élise Samson, professeure adjointe en sol et environnement au Département des sols et de génie agroalimentaire de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, tient à la capacité du producteur de démontrer que ses champs contiennent de plus en plus de carbone. « Peu importe ce que les producteurs feront, dit-elle, si la science n’est pas capable de mesurer l’effet des nouvelles pratiques sur les stocks de carbone du sol, on ne pourra pas dire qu’on a augmenté les stocks de carbone. On ne pourra compter que sur des estimations grossières avec une marge d’erreur importante. »

Des « générateurs de réduction de CO2 »

C’est justement le problème que dit avoir réglé Jacques Nault, vice-président agronomie et cofondateur avec son frère Charles de LogiAg en 1999, avec son ­LaserAg : la mise au point par son équipe d’une technologie capable de mesurer la quantité de carbone qui se trouve dans le sol. Sans un équipement de ce genre, impossible d’en connaître la quantité séquestrée. Impossible aussi de mesurer les effets des nouvelles pratiques adoptées par les producteurs, et impossible enfin, pour eux, de monnayer leurs efforts sur le marché du carbone. 

Dans la vallée du Saint-Laurent, où les grandes cultures dominent, une dégradation des sols a été observée. « Le taux de matière organique dans le sol était de 6 à 6,5 % en 1940. Il est d’environ 3 % aujourd’hui », indique Jacques Nault. Comme les sols contiennent peu de carbone, la possibilité d’en séquestrer davantage et de tirer des revenus de cet emmagasinage additionnel semble bien réelle. « Ce qui est vraiment trippant dans ça, c’est que les producteurs pourraient devenir des générateurs de réduction de CO2 », dit l’entrepreneur. 

Le principe derrière la technologie

« L’idée consiste à lancer un laser assez puissant [qui génère une chaleur d’environ 20 000 degrés Celsius] sur un échantillon de sol pour qu’il se transforme en plasma », explique Jacques Nault. « Lorsque le laser est coupé, poursuit l’agronome, le plasma se refroidit et l’énergie absorbée est relâchée sous forme de photons ou de longueurs d’ondes lumineuses associées à un élément du tableau périodique. C’est ce qui nous permet de mesurer la composition atomique du sol et de savoir combien il contient de carbone organique par hectare. » Cette variable constitue l’élément clé pour mesurer la performance du sol en termes de captation de carbone, et c’est là que se trouverait l’intérêt particulier de la technologie développée par LogiAg.

Les échantillons  prélevés dans les champs prennent la direction du laboratoire où la quantité de carbone qu’ils contiennent est mesurée. Photo : Gracieuseté de LogiAg
Les échantillons prélevés dans les champs prennent la direction du laboratoire où la quantité de carbone qu’ils contiennent est mesurée. Photo : Gracieuseté de LogiAg

De l’or en gaz 

La première chose à faire consiste à réaliser l’inventaire de carbone que contiennent déjà les champs. Des échantillons doivent être prélevés en différents endroits des champs avant de prendre la direction du laboratoire où la quantité de carbone qu’ils contiennent est mesurée. Des algorithmes prédictifs permettent alors d’établir la quantité de carbone à l’hectare séquestrée dans le sol. C’est ce qu’on appelle l’inventaire de départ. 

Cela réalisé, des méthodes sont proposées au producteur afin d’améliorer la quantité de carbone qui se trouve dans ses champs. « Tout ce qui permet d’augmenter la quantité de végétaux par unité de surface dans le système va permettre de capter plus de carbone parce qu’il y aura davantage de photosynthèse », signale la professeure Samson. « Là aussi, il y a des défis, prévient-elle, puisqu’il faut bien choisir les cultivars, notamment. » Des tests de contrôle suivent par la suite de façon régulière. Les échantillons sont prélevés, chaque fois, aux mêmes endroits. Les analyses permettent de comparer la quantité de carbone séquestrée d’une période à l’autre. Si les stocks augmentent et que ces gains ne diminuent pas dans le temps, le producteur gagne des crédits carbone qu’il pourra vendre aux entreprises polluantes. Ce marché a d’ailleurs atteint le milliard de dollars en 2021, selon les chiffres avancés par Jacques Nault.

« Supposons que vous êtes agriculteur et que vos nouvelles pratiques permettent d’augmenter de cinq tonnes en moyenne la quantité de carbone séquestré par vos champs », illustre Jacques Nault. « Quand on sait que chaque tonne de carbone retirée de l’atmosphère donne droit à un crédit de 50 $ la tonne en ce moment et qu’il devrait avoisiner 170 $ en 2030, on constate rapidement que les producteurs sont assis sur une véritable petite mine d’or. Les chiffres sont absolument phénoménaux », observe le cofondateur de LogiAg.

Le marché s’organise

« Le gros des émissions, dans l’industrie agroalimentaire, se fait à la ferme », souligne Jacques Nault. C’est aussi là que se trouve le potentiel de réduction le plus important. Or, signale l’agronome, « les grands transformateurs de la chaîne agroalimentaire se commettent tous à la carboneutralité qu’ils veulent atteindre d’ici quelques années, en ce moment. Leur seule façon d’y arriver, c’est de trouver des crédits quelque part ». 

Ce quelque part pourrait bien être chez les agriculteurs, justement. « De gros transformateurs se sont engagés à acheter les crédits que les agriculteurs vont générer. En gardant ces crédits à l’intérieur de la chaîne agroalimentaire, ils vont pouvoir arriver au bout avec un produit carboneutre », analyse Jacques Nault. 

Tout ce qu’il reste à réaliser, c’est le protocole fédéral de certification des crédits, en voie d’être complété, et auquel Jacques Nault participe. Une centaine de fermes du Québec sont d’ailleurs en train de réaliser leur inventaire de carbone de départ, en ce moment. Ce sont les premières à se soumettre à cette mesure pour éventuellement tirer un revenu de leurs nouvelles pratiques. « Ce qui est le fun pour les agriculteurs, c’est qu’on sait qu’ils sont capables de générer des tonnes de CO2 réduites, de qualité, et que la demande pour ces tonnes-là est astronomique », soutient l’homme d’affaires. 

Dix années de travail

Développer le LaserAg s’est toutefois révélé un éprouvant parcours du combattant pour l’entreprise. « Je ne sais pas si je le referais en sachant tous les efforts et l’argent qu’il a fallu mettre là-dedans », admet Jacques Nault. Il a fallu une décennie et des millions de dollars pour développer la technologie maintenant au point et que la firme EnvironeX, de Longueuil, utilise actuellement pour réaliser des analyses de sols ce printemps. « Là, aujourd’hui, ça fonctionne; des investisseurs s’y intéressent et on a retrouvé le sourire », raconte l’entrepreneur dont l’appareil a également été vendu à un client d’Afrique du Sud, en plus de se retrouver au laboratoire SGS de Guelph, en Ontario, de même que chez Agriculture et Agroalimentaire Canada. « On a une application commerciale, sur le carbone organique, qui devrait générer beaucoup de revenus, estime Jacques Nault, qui voit croître l’intérêt pour son produit. Plusieurs entreprises nous ont demandé des cotations parce qu’elles envisagent d’en acheter, justement à cause du marché du carbone. » 

Claude Fortin, collaboration spéciale


Ce texte a été publié dans l’édition de juillet 2022 de L’UtiliTerre.