Environnement 1 février 2023

35 millions de tonnes de fumier à transformer en énergie verte

La production d’énergie renouvelable en agriculture se concrétise avec entre autres des projets de biométhanisation, un procédé qui permet de transformer des déjections animales en gaz naturel « vert ». Par ailleurs, la production d’énergie solaire et éolienne à la ferme pourrait être appelée à prendre de l’ampleur avec la demande croissante en électricité et l’électrification des transports.

Pour lire le dossier complet sur la biométhanisation paru dans La Terre de chez nous cliquez ici.
Pour lire le dossier complet sur les énergies renouvelables paru dans La Terre de chez nous, cliquez ici.

La production de gaz renouvelable à partir des fumiers et lisiers n’est plus une utopie. Elle se met en marche au Québec, notamment en raison de l’obligation du géant Énergir, le principal distributeur de gaz naturel au Québec, d’injecter dans son réseau 5 % de gaz naturel renouvelable d’ici 2025 et 10 % d’ici 2030. La façon d’atteindre ces cibles le plus rapidement consiste à utiliser les déjections animales du milieu agricole.

Plusieurs entreprises et organismes courtisent ainsi le milieu agricole pour démarrer des projets de biométhanisation. « En ce moment, les conditions économiques se mettent en place, car la volonté d’avoir une transition énergétique est là. La matière première est là et les conditions de marché pour vendre le gaz naturel renouvelable (GNR) sont là. Je crois qu’il pourrait y avoir plus d’une centaine d’usines [de biométhanisation de résidus agricoles] au Québec », analyse Mélisa Sall, du Groupe BioÉnertek. Même son de cloche chez un autre développeur de projets de biométhanisation, l’entreprise Keridis BioÉnergie, qui appartient en partie à Sollio Agriculture. « On est dans le début d’une belle curve. Il y a un momentum, car des programmes gouvernementaux subventionnent les infrastructures, et Énergir vient d’augmenter le prix qu’il paie son GNR », résume Simon Naylor, vice-président traitement et transformation. Ce dernier affirme que le Québec dispose approximativement de 35 millions de tonnes de fumier à transformer en GNR, et une dizaine de promoteurs et autoproducteurs s’affairent actuellement à développer des projets.

Une course

Ces promoteurs se lancent dans la course en recherchant la même chose : des secteurs ayant une forte concentration de fermes produisant de bons volumes de déjections et où des conduites de gaz se rendent déjà à proximité. La Coop Agri-Énergie Warwick, dans le Centre-du-Québec, a été la toute première coopérative agricole à mettre en activité une usine de production de GNR. Elle utilise environ 50 000 tonnes de matière organique, provenant en majorité des déjections animales de six producteurs environnants. Keridis BioÉnergie et Groupe BioÉnertek convoitent également des sites pour lancer des usines pouvant traiter entre 50 000 et 70 000 tonnes de déjections par année par usine.

La matière agricole, plus uniforme, serait plus facile et moins onéreuse à traiter, comparativement aux résidus municipaux, qui varient et peuvent contenir du métal, des plastiques et d’autres substances indésirables pour l’estomac du biodigesteur. Photo : Martin Ménard/Archives TCN
La matière agricole, plus uniforme, serait plus facile et moins onéreuse à traiter, comparativement aux résidus municipaux, qui varient et peuvent contenir du métal, des plastiques et d’autres substances indésirables pour l’estomac du biodigesteur. Photo : Martin Ménard/Archives TCN

Or, en décembre dernier, Énergir a annoncé qu’elle s’associait à la compagnie danoise Nature Energy, récemment achetée par Shell et spécialisée dans le développement de grands projets de biométhanisation. « Nature, ils font de plus grandes usines et en ont déjà 14 en opération. Ils ont un savoir-faire sur lequel on peut capitaliser pour aller plus vite. […] On aimerait, d’ici juin, avoir un premier go pour un projet et avoir une usine complétée en 2025 », indique en entrevue avec La Terre le président et chef de la direction d’Énergir, Éric Lachance. Il précise que l’objectif de son entreprise est de construire, d’ici 2030, 10 usines utilisant chacune environ 800 000 tonnes de matière, du lisier notamment, dans quatre régions, soit la Montérégie, le Centre-du-Québec, la Chaudière-Appalaches et l’Estrie.

Cette alliance sème toutefois des inquiétudes, partage Simon Naylor, de Keridis BioÉnergie. « Toute la filière est surprise et secouée par cette alliance, car chacune de ces usines va prendre la place de 10 [plus petits] projets. Une approche stratégique qu’on considère maintenant, c’est d’attendre de savoir où les projets d’Énergir-Nature Energy seront positionnés avant de positionner les nôtres, car ils vont tellement drainer de matière que s’ils viennent dans notre cour, ce sera problématique. »   

La matière fertilisante obtenue à la suite du procédé de biométhanisation compterait beaucoup moins de semences de mauvaises herbes que le lisier ou le fumier non traité. Photo : Gracieuseté de Keridis BioÉnergie
La matière fertilisante obtenue à la suite du procédé de biométhanisation compterait beaucoup moins de semences de mauvaises herbes que le lisier ou le fumier non traité. Photo : Gracieuseté de Keridis BioÉnergie

Du côté d’Énergir, Éric Lachance assure que le milieu agricole offre un énorme potentiel de production de GNR, autant pour de grosses que de petites usines et que comme distributeur de gaz, il achètera le GNR des différents projets. « On a même une stratégie de prix qui va tenir compte du fait que les plus petites usines vont avoir un coût de production plus élevé », révèle-t-il.

Il faut toutefois faire attention de ne pas voir la production de gaz renouvelable comme une solution plus verte qu’elle ne l’est, prévient cependant Léa Ilardo, analyste politique à la Fondation David Suzuki. Elle fait valoir que l’utilisation des camions pour transporter la matière sur plusieurs kilomètres, la construction et l’opération des usines ainsi que l’utilisation même du gaz sont des sources de pollution. De plus, la mince proportion de gaz renouvelable injectée dans le réseau donne l’impression au public que le gaz naturel est une énergie verte, alors qu’il s’agira encore, en majorité, d’une énergie fossile, dit-elle, précisant qu’il est préférable de prioriser l’électrification des usages qui peuvent l’être. 

Quels bénéfices pour les agriculteurs?

Les projets de biométhanisation offrent différentes options de rémunération à un producteur agricole. Ce dernier peut simplement être un fournisseur de lisier ou de fumier et recevoir, dans certains cas, une rétribution pour la matière envoyée. Il peut aussi être un receveur de la matière fertilisante qui sort du biodigesteur, nommée digestat, qu’on dit plus concentrée et assimilable par les plantes que le lisier brut. Finalement, il peut être copropriétaire de l’usine et alors recevoir une partie des dividendes émanant de la vente du gaz renouvelable.

Sans vouloir révéler les chiffres, être copropriétaire d’une usine de biométhanisation est très rentable, atteste Josée Chicoine, codirectrice générale de Coop Agri-Énergie Warwick. « Même que, en termes de rendements [financiers], c’est plus intéressant que l’achat de quotas pour le producteur. Et c’est de l’argent neuf en agriculture », précise-t-elle.

Mme Chicoine mentionne également que la biométhanisation enlève avantageusement une partie de la charge odorante du lisier. « Ça sent beaucoup moins lors de l’application au champ et l’odeur persiste moins longtemps, de deux à trois heures seulement », compare-t-elle. 

Ensuite, il y a l’aspect environnemental à considérer, souligne le président et chef de la direction d’Énergir, Éric Lachance. « Le GNR aide nos clients à réduire leurs émissions de GES [gaz à effet de serre], et à atteindre la carboneutralité. Ça vient également appuyer et aider le milieu agricole à se décarboner », dit-il. Selon les chiffres d’Énergir, la production de GNR permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de l’épandage conventionnel des lisiers et des fumiers en captant ces gaz pendant le processus de méthanisation.


Cet article est paru dans le cadre d’un dossier complet sur les énergies renouvelables, paru dans La Terre de chez nous du 1er février 2023. Pour y accéder, cliquez ici.