Élevage 6 novembre 2018

Le seul abattoir de cervidés menacé de fermeture

La maladie débilitante chronique (MDC) des cervidés menace la survie de l’élevage des Cerfs de Boileau, mais compromet aussi sérieusement la rentabilité des opérations du seul abattoir d’importance de cette filière, les Viandes de la Petite Nation. Et la vente de la viande des animaux sains risque de bouleverser le marché.

« Si on perd notre élevage [de 3 500 cerfs rouges dont le fédéral a ordonné la destruction], on arrête tout. On va fermer l’abattoir », lance Denis Ferrer, gestionnaire de la ferme et de l’abattoir situé en Outaouais.

L’exploitation de l’abattoir et de sa salle de découpe à la fine pointe de la technologie ne sera simplement plus rentable s’il devait abattre uniquement les bêtes envoyées par les autres éleveurs de cerfs rouges du Québec. « On ne peut pas rester ouverts pour une dizaine de cerfs par semaine. […] Les activités de l’abattoir en tant que telles n’étaient déjà pas rentables. Nous avions le nôtre pour assurer une grande qualité de viande à nos clients; ça entrait dans un contexte global de mise en marché », précise M. Ferrer.

Il se dit ouvert aux propositions d’autres secteurs d’élevage, sans se faire trop d’illusions. « On a déjà abattu du bœuf pour un groupe d’éleveurs qui avait un cahier des charges et ce n’était pas rentable », dit-il.

Triste

Le copropriétaire d’un autre abattoir québécois, André Forget, des Viandes Forget en banlieue de Montréal, reconnaît que l’industrie de l’abattage est difficile. « Ce n’est pas évident de trouver de la main-d’œuvre qui veut travailler dans un abattoir. L’autre chose, c’est qu’on doit se battre contre des géants et ça nous coûte plus cher ici avec les règles fédérales d’inspection et les normes provinciales », dépeint M. Forget. Il estime que la situation des Cerfs de Boileau et des Viandes de la Petite Nation est « triste et un peu catastrophique, car ils avaient monté une belle business ».

André Forget n’est toutefois pas convaincu qu’il s’agisse de la fin pour les Viandes de la Petite Nation. « Ce sont des gens capables. Ils sont situés près d’Ottawa et de l’Ontario; ils peuvent se revirer de bord », espère M. Forget.

Le marché déstabilisé

L’autre élément de crainte pour les éleveurs de cerfs rouges demeure sans contredit le déséquilibre du marché que provoqueront les surplus d’animaux abattus. « La demande totale pour l’ensemble des éleveurs du Québec se situe entre 1 500 et 2 000 cerfs par année. Si une entreprise doit en abattre 3 500 d’un coup, ça fera un très gros surplus et les prix pourraient devenir dérisoires », se désole Gervais Therrien, éleveur et président de l’Association cerfs rouges du Québec.

Une analyse que partage Alexandre Therrien, propriétaire des Gibiers Canabec, spécialisés dans le commerce de viande de gibier. Il n’a cependant pas l’intention de profiter de la situation. « On veut travailler à long terme avec les éleveurs qui restent », affirme M. Therrien. Il soutient que la possible disparition de son compétiteur Cerfs de Boileau n’a rien de positif. « Ils ont accru la notoriété de la viande de cerf et effectuaient un bon travail de promotion. Ensemble, on développait le secteur », souligne-t-il.

À la Maison du gibier, Julie Rondeau possède une réserve de viande de cerf jusqu’en janvier prochain. Le prix n’est donc pas à la baisse pour l’instant. Selon elle, le vide éventuellement laissé par l’arrêt des activités des Cerfs de Boileau pourra être comblé par la production des éleveurs du Québec, d’ailleurs au Canada ou de la Nouvelle-Zélande.

L’éleveur de Chaudière-Appalaches, Gaétan Lehoux, redoute justement cette dernière option. « Le prix est plus bas en Nouvelle-Zélande. Si on habitue les restaurants et nos clients à acheter du cerf de là-bas, ce sera difficile après la crise de revenir leur vendre notre viande à un prix supérieur », juge-t-il.

Denis Ferrer, des Cerfs de Boileau, conseille aux éleveurs qui resteront de créer une masse critique d’animaux. « Ce qui fait la force d’une filière, c’est le volume, même pour un petit créneau comme le cerf rouge. Sinon, les ventes sont difficiles et tu n’arrives pas à mettre en marché les parties moins nobles comme les abats. Mais pour faire ça, il faudra mettre beaucoup d’énergie et d’argent », juge-t-il.