Élevage 13 octobre 2021

Après Vallée-Jonction, la relève inquiète pour l’avenir

Dans la longue lettre qu’il a fait parvenir à La Terre, le jeune producteur porcin Mathieu Pilote dénonce une situation que plusieurs fermes québécoises vivent : les porcs continuent de s’entasser dans les bâtiments, ce qui crée des problèmes de bien-être animal, des revenus à la baisse et un stress énorme pour les éleveurs.

Date d’échéance des conventions collectives des abattoirs de porcs d’Olymel

Usine d’Ange-Gardien : avril 2023

Usine de Princeville : septembre 2024

Usine de Saint-Esprit : mai 2025

Usine de Vallée-Jonction : mars 2027

Usine de Yamachiche : septembre 2029

« La grève [des employés de l’abattoir d’Olymel de Vallée-Jonction] est finie. Plus personne n’en parle, mais on en subit encore les conséquences. Les cochons continuent de s’entasser. […] Ça met en péril ben des affaires. Des projets d’expansion, tu y penses à deux et trois fois. Et quand les cochons sont quasiment un par-dessus l’autre, ça ajoute des problèmes. Comme si on n’avait pas assez de l’inflation qui est au boutte et de la difficulté à attirer de la main-d’œuvre! Tout ça s’ajoute sur la pile. Présentement, je n’ai pas de vie », dépeint ce producteur de La Malbaie, dans Charlevoix. Il souligne que les jeunes de la relève ont les reins moins solides pour traverser ce genre d’épreuves.

Dans Lanaudière, l’éleveur William Lafond, 28 ans, affiche 1 200 porcs en surplus et reconnaît avoir craqué sous le stress à un certain moment. « Les bâtisses sont surpeuplées et toutes les quatre semaines, j’ai des porcs qui naissent. Je me demande où je vais les mettre… Il y a des soirs où je n’ai pas dormi. Le stress devient gros. Ça me fait terriblement peur, mais je suis surtout choqué, en colère, car ça fait un an et demi qu’on se fait raconter plein d’affaires et rien ne bouge. Surtout qu’Olymel dit qu’elle ne peut pas prendre mes porcs, mais elle en accepte 10 000 de l’Ontario steady et égal chaque semaine. C’est très frustrant! » s’exclame le copropriétaire de la ferme Méloporc située à Saint-Paul.

Mathieu Pilote s’est fait dire qu’il y aurait des porcs en attente au moins jusqu’au début 2022. Il souligne que les jeunes de la relève ont les reins moins solides pour traverser ce genre d’épreuves. Photo : Gracieuseté de Mathieu Pilote
Mathieu Pilote s’est fait dire qu’il y aurait des porcs en attente au moins jusqu’au début 2022. Il souligne que les jeunes de la relève ont les reins moins solides pour traverser ce genre d’épreuves. Photo : Gracieuseté de Mathieu Pilote

138 000 porcs en surplus

Chez Olymel, le responsable des communications Richard Vigneault indique qu’il y a actuellement 138 000 porcs en attente. L’entreprise prend tous les moyens à sa disposition, assure-t-il, pour diminuer ces surplus dans les fermes, mais cette situation devrait perdurer encore un moment. Concernant les porcs provenant de l’Ontario qui prennent la place des porcs québécois dans l’abattoir de Saint-Esprit notamment, il ne peut préciser le nombre, mais confirme cette situation. Il dit qu’un maximum de porcs ontariens est détourné vers les États-Unis et ailleurs, mais qu’une portion est effectivement abattue ici en vertu d’un contrat qu’Olymel se doit de respecter, argue-t-il.

Des pertes financières

Clovis Gauthier, un éleveur de porcs de 25 ans, a eu jusqu’à 1 300 porcs en attente ces derniers mois, ce qui plombe les finances de sa ferme. « Dans la période de chaleur, le surnombre a entraîné plus de mortalité. Rendus à l’abattoir, certains animaux déclassent, car ils sont trop pesants. […] Il faut plus d’intrants, plus de moulée et les coûts d’alimentation étaient déjà hauts… Clairement, ça fait des pertes de revenus. Ce qui est fâchant, c’est que les prix [de vente des porcs] étaient bons. On a manqué une belle saison », dit M. Gauthier, de la Ferme René Gauthier, de Saint-Irénée dans Charlevoix.

William Lafond, lui, estime avoir perdu 100 000 $ en raison de la hausse de la mortalité associée aux porcs en attente. Il chiffre également à plus de 100 000 $ les pertes d’efficacité liées au fait de devoir nourrir des porcs qui restent trop longtemps et à la livraison d’animaux déclassés. Le producteur mentionne néanmoins que son excellent contrôle de la biosécurité et les prix avantageux du porc lui permettront de terminer l’année sans déficit. 


Craintes de conflits futurs

Les trois producteurs de la relève qui se sont entretenus avec La Terre craignent que la grève, qui entraîne encore aujourd’hui des surplus de porcs dans les fermes, puisse se répéter. « Si un conflit se représente, il faut prendre des mesures pour que l’usine continue de virer. On en dépend, car on ne peut pas vendre nos porcs ailleurs », signifie Clovis Gauthier. William Lafond est également inquiet, lui qui a lu un message sur les médias sociaux d’un employé de l’abattoir de Princeville disant : « On négocie dans deux ans. Préparez-vous! » Chez Olymel, le responsable des communications Richard Vigneault spécifie qu’il ne faut pas spéculer sur ce qui peut arriver dans les autres usines. « Ce ne sont pas les mêmes syndicats, pas la même situation, pas la même réponse », dit-il, faisant remarquer que « la majorité de nos conventions se règlent à l’amiable ».

Pour l’éleveur Mathieu Pilote, il faut que l’État agisse. « Le gouvernement et le ministre Lamontagne ont dit qu’on était un secteur essentiel pendant la pandémie. Mais pendant la grève, on n’était plus essentiels. Ils ont laissé l’abattoir fermer 16 semaines. Où est la logique? » questionne-t-il. Le cabinet du ministre Lamontagne réagit à ce commentaire en assurant avoir « suivi l’évolution du conflit et offert aux parties le soutien nécessaire pour y mettre fin le plus rapidement possible ».

Le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval, est conscient que les dernières briques tombées sur la tête des éleveurs, comme le conflit politique entre le Canada et la Chine et la grève à l’abattoir, suscitent des doutes et des interrogations chez la relève. Chose certaine, il ne veut pas qu’une prochaine grève les prenne en otage. « C’est nous autres, les producteurs, qui avons payé pour cette grève et cela ne pourra pas continuer ainsi dans une société comme la nôtre. On ne peut pas nous demander de faire attention au bien-être animal et de l’autre bord, permettre des grèves qui prennent les animaux en otage. Un gouvernement qui se respecte va dire « c’est assez » et les citoyens seront derrière le gouvernement qui fera ça. Sans enlever le droit de grève, il faut la possibilité de continuer les abattages. On met une stratégie de lobby là-dessus », précise M. Duval.

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