Économie 15 novembre 2019

Un empire maraîcher de 250 employés

OKA — Si l’aventure agricole de la famille Lecault a démarré en 1963 par l’achat d’une ferme laitière, elle s’est considérablement transformée depuis. Les copropriétaires des Jardins Végibec, Pascal et Berchmans, gèrent un empire maraîcher de 250 employés, dont le chiffre d’affaires atteint 15 M$.

Du lait aux légumes

Les Jardins Végibec, Oka, Laurentides

Année de fondation : 1963

Propriétaires : Berchmans
et Pascal Lecault

Nombre d’employés : 250

Chiffre d’affaires : 15 M $

Principaux marchés : Québec et États-Unis

Pascal Lecault raconte que son frère Berchmans n’était qu’un bébé en 1963 lorsque leurs parents, Germain Lecault et Stella Sauvé, ont fait l’acquisition d’une ferme laitière sur le rang Sainte-Sophie, à Oka. Tous deux professeurs, ils pratiquaient l’agriculture comme plusieurs familles de l’époque. « Ils trayaient les vaches le matin, après ça, ils allaient enseigner à leurs classes et refaisaient le train le soir », explique Pascal. Le troupeau a été vendu en 1970 et la famille s’est fait bâtir trois serres de tomates à la fine pointe de la technologie pour l’époque. « C’était des serres Harnois pour produire à l’année, en arches de bois avec chauffage sous-terrain. Les fondations étaient en ciment à 6 pi de profondeur. C’était avant-gardiste, mais ça aurait coûté une fortune de produire là-dedans en hiver », affirme le producteur maraîcher. Rapidement, les tomates ont été transplantées aux champs, puis, pour diversifier son marché, la famille s’est aussi lancée dans la production de fraises.

Né à la ferme en 1972, Pascal a toujours su qu’il allait devenir agriculteur. Ce fils d’enseignants a d’ailleurs arrêté l’école à 14 ans pour se consacrer à la ferme à temps plein. En 1986, Pascal Lecault et son frère Berchmans faisaient partie des rares producteurs qui s’étaient « pratiquement fait donner » la ferme familiale. « C’est rare et mes parents n’étaient pas riches. Ils l’ont fait parce que c’était la seule manière de survivre dans ces années-là », souligne Pascal avec reconnaissance.

Aujourd’hui, les frères Lecault sont considérés comme les plus gros producteurs de zucchinis du Canada. Ils cultivent aussi de la laitue, du céleri (primeurs), du chou vert, du chou rouge, du chou de Savoie, du chou de Bruxelles et du chou-fleur sur une superficie totalisant 1 600 acres. Quarante pour cent de la production permet d’approvisionner Metro, Loblaws et Sobeys, et les 60 % restants sont exportés aux États-Unis.

Main-d’œuvre

Les problèmes de main-d’œuvre ne sont pas nouveaux à la ferme maraîchère Végibec. Pascal et son frère font venir annuellement plus de 200 travailleurs étrangers temporaires depuis 23 ans. « On en a eu sept la première saison et ça a tout le temps monté, jusqu’à atteindre 268 personnes une année », dit-il.

D’ailleurs, la réforme du Programme de travailleurs étrangers temporaires effectuée par le gouvernement Harper a grandement menacé la survie de la ferme qui a toujours majoritairement employé des Guatémaltèques. En 2017, Végibec aurait perdu 85 travailleurs clés pour l’entreprise si Justin Trudeau n’avait pas aboli la limite de temps qu’un travailleur pouvait passer sur le territoire canadien. « Ils sont irremplaçables », insiste Pascal.

Optimisation et météo

L’objectif des frères Lecault n’est pas d’augmenter les superficies en culture, mais de réduire les coûts en optimisant la production actuelle. Mais ils espèrent aussi secrètement que des catastrophes naturelles affectent les récoltes de leurs principaux compétiteurs américains dans les États du Michigan et de New York. En 2014, un gel tardif aux États-Unis a fait doubler le prix de vente des zucchinis de l’entreprise, alors que l’an dernier, un ouragan a fait croître le prix du chou rouge de 40 $ la boîte. « Le malheur des uns fait le bonheur des autres », souligne le producteur. 

Le casse-tête de réduire les coûts de production

Pascal et Berchmans Lecault ne savent plus à quel saint se vouer pour réduire leurs coûts de production. La moitié d’entre eux part en salaires versés aux 250 travailleurs que l’exploitation emploie à plein temps d’avril à novembre. « Le comptable nous tape dessus, La Financière agricole du Québec aussi. Il faut baisser les coûts de main-d’œuvre, mais comment voulez-vous qu’on fasse? Ça fait 5 à 10 ans qu’on se pose cette question et on n’a pas de réponse », affirme Pascal.

La solution passe inexorablement par l’utilisation de nouvelles technologies pour mieux rentabiliser l’entreprise, mais le prix d’une seule machine est de près de 500 000 $, un investissement que les deux frères ne peuvent se permettre pour l’instant. Ils ont fait des économies en automatisant certaines de leurs récoltes, mais la hausse du salaire minimum les a ramenés au point de départ. Entre 2018 et 2019, cette augmentation a coûté 300 000 $ à Végibec. Lors des quatre dernières années, l’entreprise a vu sa masse salariale augmenter de près de 1,5 M$, alors que les prix, comme la boîte de zucchinis, peuvent chuter en passant de 25 à 4 $. Les grandes surfaces sont compréhensives et achètent les stocks des maraîchers à un prix intéressant, mais les exportateurs, qui acquièrent 60 % de leur production, ne paient pas plus que le prix du marché.

Le coût de production d’une boîte de zucchinis cette année est de 9 $, mais son prix sur le marché est actuellement de 4,50 $, ce qui veut dire que l’entreprise sera déficitaire et que l’achat de nouvelles machines sera renvoyé aux calendes grecques. 

Ce portrait d’entreprise est rendu possible grâce au Fonds CDPQ pour la relève journalistique mis sur pied par la Caisse de dépôt et placement du Québec et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.