Économie 18 février 2021

Le sirop de bourgeon : parfois rentable, mais également dangereux

L’acériculteur Michaël Gagné, dont l’érablière est située en Chaudière-Appalaches, croit qu’il ne faut pas démoniser le sirop de fin de saison au goût de bourgeon. Selon lui, il faudrait plutôt réussir à en vendre davantage comme du sirop industriel.

« Quand j’arrive en fin de saison, mes frais fixes sont couverts, alors faire du sirop de bourgeon, c’est rentable, même à un prix de 1,25 $ la livre. Il faut juste ne pas le voir comme du sirop de consommation, mais trouver d’autres débouchés pour en vendre plus », dit celui qui exploite 35 000 entailles. Il assure qu’avec les techniques de désinfection de la tubulure et les réseaux de plus en plus étanches, les entailles cicatrisent moins rapidement.

Michaël Gagné
Michaël Gagné

De plus, les évaporateurs électriques comme le sien diminuent le coût de production. Cela incitera les producteurs à étirer la saison et à produire encore davantage de sirop au goût de bourgeon, prévoit celui qui en a livré près de 40 barils en 2020.

Joël Boutin, expert en acériculture, indique que des entreprises acéricoles peuvent effectivement réaliser des profits en vendant du sirop de bourgeon à 1,25 $ la livre, mais elles ne sont pas légion. « Seules les entreprises bien gérées, peu endettées et présentant un faible coût de production peuvent faire de l’argent à ce prix-là. Les autres non », tranche le conseiller du Club d’encadrement technique acéricole des Appalaches. Par contre, à un prix de 1,80 $ la livre, il croit que le sirop de bourgeon serait rentable pour une majorité d’érablières. 

Craintes de camouflage

Sylvain Lalli, président du Conseil de l’industrie de l’érable, souligne que la demande pour le sirop industriel (comprenant le goût de bourgeon) connaît une hausse marquée qui a atteint les 5 millions de livres en 2020, comparativement à moins de 700 000 livres entre 2011 et 2016. Toutefois, cette hausse lui paraît insuffisante pour donner le signal aux acériculteurs d’en produire davantage, surtout qu’il craint ce type de sirop. « La production de sirop au goût de bourgeon, ça nous rend très nerveux », résume le représentant des transformateurs. Car le problème, souligne-t-il, c’est que plusieurs acériculteurs tentent de masquer le goût de bourgeon avec différentes techniques pour le vendre à un prix plus élevé associé au sirop sans défaut de saveur. « Sauf que le mauvais goût finit par ressortir et ça devient alors très risqué de passer du mauvais sirop au consommateur. Toute l’industrie peut prendre une méchante débarque si ça se produit », craint M. Lalli.

Au Centre ACER, le spécialiste Martin Pelletier confirme que des acériculteurs utilisent différentes techniques, comme l’injection d’air ou la recuisson à feu doux, pour masquer le goût de bourgeon. Il a testé plusieurs de ces techniques lors de projets de recherche et aucune d’elles ne réussit à garantir un bon goût stable, conclut-il. « C’est une approche de dissimulation de défaut et non une approche de qualité. Ça fait ce que j’appelle des sirops-surprises. Et les acheteurs en ont peur comme la peste », stipule M. Pelletier.

Il rappelle que les acériculteurs peuvent assez facilement sentir et goûter le goût de bourgeon dans le sirop lorsqu’il apparaît en raison du changement métabolique de l’arbre, lequel s’effectue naturellement au printemps. L’acériculteur doit alors prendre une décision d’affaires : arrêter sa production de sirop ou continuer, et l’identifier comme du sirop au goût de bourgeon. « Le problème, c’est de vouloir le cacher », insiste-t-il.