Économie 3 juin 2021

Le prix de l’agneau ne fléchit pas

Avec des prix records sur le marché de l’agneau lourd et léger depuis les six derniers mois, certains éleveurs ovins sont aux anges alors que d’autres revoient leur stratégie pour réussir à faire un peu de profits.

Selon Marie-Antoine Roy, qui a fondé en 1978 les Bergeries Malvibois et Newport, en Estrie, ces prix sont du jamais vu.  « C’est la première fois qu’on a des prix raisonnables et c’est incroyable l’effet que ça a. On n’a même plus besoin de marge de crédit. Je n’ai jamais vu ça dans ma carrière », s’exclame-t-il. Avec son fils Marc-Antoine Roy et l’épouse de ce dernier, Karine Fortier, ils possèdent 2 500 brebis sur deux sites d’élevage en plus de 400 hectares de terres pour la culture fourragère destinée à l’alimentation du troupeau. « Il faut acheter un peu de suppléments alimentaires, mais sinon, on est pratiquement autosuffisants. Pour les éleveurs ovins qui doivent acheter le foin, ce doit être plus difficile de profiter de la situation », reconnaît Marie-Antoine Roy.

Le directeur général des Éleveurs d’ovins du Québec, Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, confirme que depuis janvier, les prix de vente pour l’agneau lourd et léger ont maintenu des sommets inégalés. « C’est peut-être même un record de tous les temps », avance-t-il. Malgré tout, la hausse du prix des grains et d’autres facteurs comme l’augmentation du salaire minimum ont aussi fait augmenter les coûts de production. « Le constat qu’on fait, c’est que oui, il y a eu une hausse d’environ 3 % des prix par rapport à l’année passée, mais il y a aussi une hausse du coût de production de 2 %. Un dans l’autre, il n’y a pas un gros effet », rapporte-t-il.

Les agneaux, comme ce petit de race Arcott Rideau de la ferme ovine Larivière Gingras, sont en forte demande depuis les six derniers mois. Photo : Gracieuseté de la ferme Larivière Gingras
Les agneaux, comme ce petit de race Arcott Rideau de la ferme ovine Larivière Gingras, sont en forte demande depuis les six derniers mois. Photo : Gracieuseté de la ferme Larivière Gingras

Changer de stratégie

Dans le Bas-Saint-Laurent, à Saint-Épiphane, les producteurs Yves et Étienne Langlois, propriétaires de la Ferme Épiphanoise, ont choisi de revoir leur stratégie pour mieux tirer leur épingle du jeu. Avec 750 brebis et une production d’environ 1 500 agneaux par année, ils ont choisi d’abaisser de 90 % à 60 % leur production destinée au marché de l’agneau lourd pour vendre plus rapidement leurs animaux sur le marché de l’agneau léger et économiser sur le coût d’alimentation.

Jean-Philippe Deschênes-Gilbert précise que cette stratégie, qui aurait pu séduire plusieurs producteurs dans le contexte actuel, n’a pas été très répandue.  « On s’attendait à un mouvement, mais la proportion est demeurée assez stable, avec un faible déplacement de 1 à 2 % vers le marché de l’agneau léger », rapporte-t-il.

Le producteur Marie-Antoine Roy a aussi considéré cette option pour faire plus de profits, car « il reste que le coût de production d’un agneau est très élevé », dit-il. « Mais nous avons tellement travaillé fort pour développer le marché de l’agneau lourd avec les acheteurs que ce serait malheureux de tout démonter ça », croit l’éleveur.

Kaily Larivière et Jérôme Gingras, producteurs ovins à Saint-Zacharie, dans Chaudière-Appalaches, ne peuvent pas encore tirer pleinement profit des bons prix de l’agneau en raison de la petite taille de leur entreprise. Photo : Gabrielle Chouinard
Kaily Larivière et Jérôme Gingras, producteurs ovins à Saint-Zacharie, dans Chaudière-Appalaches, ne peuvent pas encore tirer pleinement profit des bons prix de l’agneau en raison de la petite taille de leur entreprise. Photo : Gabrielle Chouinard

Les prochains mois décisifs

Pour de plus petits producteurs, comme pour le couple formé de Kaily Larivière et Jérôme Gingras, propriétaires depuis 2017 de la ferme ovine Larivière Gingras, à Saint-Zacharie dans Chaudière-Appalaches, les bons prix n’ont pas encore permis de rentabiliser l’élevage de 330 brebis.  « On en profite un peu par la bande, en vendant plus cher nos sujets reproducteurs, confie M. Gingras, mais nos frais fixes sont encore trop élevés par rapport à la grosseur de notre production. On vient d’ailleurs de recevoir notre paiement final de l’ASRA [Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles]. Ça montre que l’industrie a encore besoin du soutien de l’État malgré les prix plus élevés sur le marché », estime le producteur.

Or, pour M. Deschênes-Gilbert, ce dernier versement de l’ASRA qui clôt l’année 2020 n’est pas représentatif des prix exceptionnels de l’agneau sur le marché depuis le début de 2021. « Je pense qu’on aura une meilleure idée de l’impact des prix sur les entreprises quand le prochain versement de l’ASRA se fera, en juillet, puisque ce versement tiendra compte des premiers mois de 2021, où les prix ont été beaucoup plus élevés que la moyenne de 2020 », souligne-t-il. 

Pas de baisse de prix en vue d’ici la fin juillet

Les prix élevés de l’agneau devraient se maintenir au moins jusqu’à la fête musulmane du Bélier, à la fin juillet, indique Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, directeur général des Éleveurs d’ovins du Québec. « Après, chacun a sa propre boule de cristal pour prédire ce qui se passera, mais si l’on se fie à la courbe habituelle des prix des années précédentes, on peut anticiper un déclin à l’automne », précise-t-il. Par ailleurs, il dit remarquer que la demande pour l’agneau du Québec ne semble pas vouloir fléchir, ce qui pourrait contribuer à maintenir des prix élevés. « On entend même dire qu’il manquera d’agneaux en Amérique du Nord », mentionne-t-il.