Actualités 6 mai 2021

Une agronome réagit aux critiques de Louis Robert

Je souhaite réagir à l’entrevue de Louis Robert diffusée par La Terre de Chez nous concernant la parution de son livre Pour le bien de la terre.

Je suis agronome, diplômée depuis 15 ans cette année, conseillère de club, mais j’ai aussi fièrement porté la casquette d’un fournisseur d’intrants pendant près de 10 ans. Je suis fille, sœur, femme, cousine d’agriculteurs et sous peu, agricultrice moi-même. Je n’ai pas les nombreuses années d’expérience de M. Robert mais j’ose croire que mon vécu agricole de près de 40 ans, à temps plein les deux pieds dedans, me donne un peu de crédibilité.

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Pour accéder au texte et à la vidéo sur Louis Robert, cliquez ici.

En écoutant le reportage, j’ai eu l’impression que M. Robert avait été « aux roches » et qu’il avait décidé d’en tirer un peu partout autour de lui dans le but de « faire bouger les choses ».

D’abord, il critique les subventions offertes par le MAPAQ directement aux producteurs agricoles, sous prétexte qu’au final, ces mesures apportent peu de changements.

Dans ma région, le Bas Saint-Laurent, des constats ont été faits que la santé des sols était un frein à productivité des entreprises agricoles. Sachant qu’un sol bien drainé et avec un bon pH est habituellement gage de succès, les producteurs ont ainsi pu avoir accès à un programme de soutien au chaulage et au drainage des terres agricoles. Pour en bénéficier, l’entreprise doit cependant obtenir un diagnostic au champ fait par un ingénieur et celui-ci doit faire la preuve que le drainage est nécessaire, un processus très rigoureux. Dans le cas du chaulage, une recommandation doit être faite par un agronome, analyse de sol récente à l’appui.

L’incitatif proposé aux agriculteurs pour implanter des cultures de couverture (environ 56 $/ha offert via Prime-Vert) a permis une plus grande adhésion à cette pratique, encore innovante pour certains. Elle vise aussi à former les conseillers sur le terrain.

Pour ce qui est de l’Initiative ministérielle en productivité végétale, elle est principalement basée sur l’augmentation de l’efficacité et de la productivité des entreprises dans un contexte de manque de main-d’œuvre, une problématique majeure en agriculture. Pour en bénéficier, les producteurs doivent démontrer qu’ils seront plus efficaces avec leur nouvel équipement et baser leur choix d’équipement sur un outil qui aura aussi un impact environnemental (moins de compaction, plus grande précision des applications, équipement pour implanter des engrais verts, diminuer le travail de sol, etc.).

Ainsi, je ne comprends pas pourquoi M. Robert critique ces aides qui semblent pourtant bénéficier à la santé des sols. Il pourrait même y en avoir davantage, tant que ce n’est pas accompagné de plus de paperasse, s’il vous plaît!

Je considère que si, pour le bien de la terre, il faut améliorer nos méthodes culturales, c’est collectivement que ça doit se faire.

Je considère quand même que M. Robert a connu un brillant parcours comme agronome au MAPAQ et que son expertise en santé des sols est indéniable. S’il avait écrit un livre sur sa carrière, sur l’évolution de l’agriculture au fil des ans et sur les combats qu’il a menés, je n’en serais aucunement indignée.

D’avoir écouté et pris la défense des chercheurs du CEROM qui dénonçaient une situation d’ingérence déplorable et permis la publication de l’étude sur les néonicotinoïdes est un haut fait d’armes.

À l’époque où j’étais représentante, on me disait que le Poncho, le fameux « néonic » montré du doigt, venait protéger le maïs contre les ravageurs lors de l’émergence. Vu comme une assurance pour un meilleur départ du maïs, je croyais sincèrement bien faire les choses. Mais les chercheurs ont ensuite fait les constats que l’on connaît. L’industrie en a pris bonne note et s’est adaptée. Aujourd’hui, il est faux de dire que tout le maïs se sème avec des insecticides, mais il faut être sur le terrain pour voir que ça évolue et continuer la sensibilisation pour que ça se poursuive. Ma comparaison est peut-être boiteuse, mais j’ai de la misère à en vouloir à mon père aujourd’hui parce qu’il fumait dans l’auto quand j’étais petite. C’était inutile de le faire et risqué pour ma santé, mais il ne le savait pas.

Et la problématique du phosphore, sérieusement, elle est encore d’actualité? Je pensais que ce débat était clos depuis l’exigence des bilans P autour de 2010. Si c’est encore problématique et que je dois malgré tout courir le ventre à terre pour déposer mes bilans P pour le 15 mai, dites-le-moi, je vais arrêter tout de suite.

Alors qu’on investit énormément d’énergie à valoriser notre agriculture et les professions d’agriculteurs et d’agronomes, c’est un coup bas d’utiliser ces arguments pour la promotion d’un livre.

Je réclame qu’on arrête de croire qu’il faille diviser les agronomes en deux clans séparés par l’apparence de conflits d’intérêts pour régler tout ce qui va mal en agriculture au Québec. L’effet pervers de ces débats, des discours alarmistes et des dénonciations de vieilles vérités, en plus du fait de réclamer publiquement la mise sous tutelle de l’Ordre des agronomes du Québec, causent une évidente perte de confiance des consommateurs envers notre agriculture, pourtant si sécuritaire, diversifiée et humaine. Les agriculteurs, plusieurs diplômés au collégial ou à l’université sont capables de faire preuve de discernement dans le choix de leurs intrants.

Est-ce qu’on pourrait oublier les vieilles chicanes et travailler ensemble à développer, promouvoir et adopter des pratiques innovantes, respectueuses de l’environnement, rentables et durables ? Les défis sont grands, mais atteignables si nous sommes solidaires.

Amélie Martin, agronome de Kamouraska


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