Actualités 26 avril 2022

Le maraîchage devenu trop complexe, ils se tournent vers les grains

Alors que son plan de cultures pour la saison était prêt et qu’il avait déjà fait ses commandes de semis et de transplants de légumes, le producteur maraîcher Alain Ferland a pris la décision, en février, de tout annuler à la dernière minute pour se concentrer uniquement sur la production de maïs et de soya.

« Je suis encore un passionné, insiste d’emblée l’agriculteur de Saint-Rémi, en Montérégie, mais le profil de business [dans l’industrie maraîchère] n’a pas de sens, et les producteurs doivent penser à eux. Je me suis comme réveillé. C’est terminé pour tout le temps. »

Une panoplie de facteurs ont influencé sa décision spontanée de mettre de côté son « rêve de petit garçon », à commencer par l’incertitude quant aux prix obtenus chaque année de la part des grandes chaînes et des grossistes pour ses légumes et la rentabilité difficile, surtout dans un contexte d’inflation du coût des intrants. À cela s’ajoutent la paperasse qui s’alourdit et les enjeux de main-d’œuvre. « C’est tellement compliqué pour se rendre à destination, puis à la fin, tu ne sais pas ce que tu vas avoir », fait remarquer le propriétaire des Cultures Ferland, qui produit normalement 121 hectares de betteraves, de céleris raves, d’oignons, de choux et de courges ainsi que 40 hectares de grandes cultures pour faire des rotations. En 2022, il produira plutôt 162 hectares de maïs et de soya. « En grandes cultures, tu fais un téléphone et tu bookes la moitié de ta récolte et ton prix », fait-il valoir.

Mathieu Riendeau, producteur de grandes cultures et de choux dans la même ville, s’en tiendra uniquement au foin, au blé et au soya cette année. Un choix justifié en partie par la difficulté à recruter la main-d’œuvre nécessaire pour le travail maraîcher. Or, la culture des grains, plus automatisée, lui enlève ce fardeau. « Je ne voulais plus me casser la tête. Ça n’a rien à voir avec les prix. D’habitude, j’engage deux travailleurs locaux et je fais affaire avec une agence, mais ça devenait de plus en plus compliqué. Cette année, je n’aurai pas ­d’employés. Je vais pouvoir tout faire avec ma conjointe », explique-t-il.

Amélie Reny Coulombe, qui ajoute du soya à sa production cette année, ne lâchera pas la culture de légumes, mais avoue se questionner. Photo : Gracieuseté d’Amélie Reny Coulombe
Amélie Reny Coulombe, qui ajoute du soya à sa production cette année, ne lâchera pas la culture de légumes, mais avoue se questionner. Photo : Gracieuseté d’Amélie Reny Coulombe

Une réflexion qui s’amorce

Avec le fardeau administratif toujours plus grand pour recruter de la main-d’œuvre étrangère, se conformer aux normes environnementales et aller chercher la certification de salubrité CanadaGAP, la directrice de la recherche et du développement à l’Association des producteurs maraîchers du Québec, Catherine Lessard, ne s’étonnerait pas qu’une réflexion semblable s’amorce pour de nombreux maraîchers, surtout ceux de moyenne taille, qui doivent répondre aux mêmes exigences que les gros, mais avec moins de ressources. « Je n’ai pas de données et on ne verra peut-être pas de différence dès cette année, parce que les plans de cultures sont déjà faits, mais j’en entends parler. Il y en a qui y pensent pour le long terme », mentionne-t-elle.

Productrice de légumes à L’Île-d’Orléans, Amélie Reny Coulombe intègre pour la première fois le soya à ses superficies de 72 hectares en 2022. « On réduit un peu les superficies maraîchères. À la base, je voulais surtout faire des rotations de cultures en ajoutant le soya, mais j’avoue me questionner. Combien de temps je serai capable de continuer comme ça? […] Chaque année, c’est du gambling de A à Z », fait-elle valoir.

Encore sous le choc du marché engorgé entraînant d’importants surplus et des prix dérisoires pour ses choux l’an dernier, Alain Dulude, qui cultive plus de 200 hectares de légumes et 360 hectares de grandes cultures à Saint-Rémi et à Saint-Constant, a songé à éliminer la production maraîchère en 2022 pour se concentrer uniquement sur le maïs et le soya. Il s’est toutefois ravisé par souci de garder ses clients. « On a toujours le petit hamster qui tourne. J’en entends parler [que des confrères songent à se tourner vers les grandes cultures]. Je pense que ça va finir par se sentir », note celui qui commencera à transplanter au champ au début mai et qui se croise les doigts pour avoir une meilleure saison que l’an dernier.