Bio 30 septembre 2020

Le libre penseur de l’agriculture biologique

Sur son profil Linkedin, il se définit comme un agriculteur chercheur. Et force est de constater que ce n’est pas de la frime; Sébastien Angers cultive ses champs comme des laboratoires…

« Je suis un libre penseur », lance le propriétaire de la Ferme L’Odyssée à bord de son pick-up en nous faisant visiter son « jardin », à Sainte-Monique, petit village situé dans la région du Centre-du-Québec. L’homme est un visage bien connu de l’agriculture bio au Québec par les nombreux reportages qui lui ont été consacrés et pour sa démarche originale. En août dernier, le ministre André Lamontagne est même venu visiter le producteur porcin dont la totalité du troupeau (1 100 porcs) est réservée aux Viandes du Breton.

Se décrivant comme un artiste et designer, Sébastien Angers procède à des expériences sur ses 80 hectares de terres depuis 2008, mais une régie bio y est pratiquée depuis 1984. « En 36 ans d’agriculture biologique, tu ne peux pas toujours réussir à avoir des champs propres. La banque de mauvaises herbes est énorme ici et c’est un enjeu important dont je dois tenir compte. »

Un défi auquel il s’est attaqué en misant sur l’agriculture régénérative. « C’est un concept qui vise une maximisation de la biodiversité des végétaux et une faible perturbation des sols, explique Sébastien Angers. Auparavant, je mettais beaucoup d’énergie à détruire les mauvaises herbes en sarclant, mais aujourd’hui, je regarde quelles conditions leur permettent de s’implanter et c’est là-dessus que je travaille avec mes alliés, les couverts végétaux. »

Oubliez les rangs dénudés; les champs de l’agriculteur de Sainte-Monique sont diversifiés et meublés à souhait. Depuis quelques années, il procède à différentes expérimentations, notant les succès et les échecs en vue de la saison suivante. « Les couverts végétaux, c’est ce qui me passionne le plus en agronomie », confie Sébastien Angers qui part du principe que les mauvaises herbes occupent l’espace qu’on veut bien leur accorder.

Vesce velue, luzerne, millet, lin, citrouilles, courges et tournesols y côtoient les plants de maïs sucré semés en rang de soixante pouces, soit le double de ce qui est pratiqué dans l’agriculture conventionnelle. « Avec ces corridors solaires, je perds 20 % de rendement, mais en même temps, je sème 30 % moins de plants (65 000 à l’hectare contre 80 000). En allant chercher des économies sur les semences, je réussis à trouver ma rentabilité. »

Accès au marché du carbone

En 2019, il avait semé un maïs de 2 650 UTM, mais le gel précoce l’a pris par surprise. « Cette année, j’ai planté une variété plus hâtive, du 2 400 UTM, et même si j’ai sacrifié du rendement, je suis vraiment satisfait de la qualité », dit-il en exhibant de gros épis jaunes remplis jusqu’à leur extrémité.

Pour ce producteur hors norme, il ne fait aucun doute que l’avenir de l’agriculture réside dans la santé des sols. « Les plantes sont le miroir du sol. Un sol en santé, peu importe la météo, sera résilient dans le temps. » L’agriculteur de Sainte-Monique a parcouru depuis vingt ans les cinq continents pour découvrir les pratiques agricoles des paysans et il en est arrivé aujourd’hui au constat que c’est avec de l’empathie qu’on parviendra à de meilleurs résultats.

Affichant toujours sa foi en l’agriculture biologique, Sébastien Angers déplore tout de même que le secteur auquel il appartient a évolué ces dernières années comme une réponse aux excès de l’agriculture conventionnelle. « C’est devenu comme un dogme, dit-il en pesant bien ses mots. Je pense qu’il ne peut y avoir d’évolution dans la rigidité. La vérité est plus large que ça. Si on amène les producteurs conventionnels à réduire au minimum l’utilisation des ­pesticides, ça sera déjà un grand pas », plaide-t-il.

Ultimement, le producteur porcin estime que l’avenir passe par un accès à la Bourse du carbone pour les agriculteurs. « L’agriculture régénérative réduit les gaz à effet de serre. Si ma perte de 20 % de rendement avec mes corridors solaires était compensée par un chèque de crédits de carbone, je crois que ça deviendrait une source de revenus qui susciterait plus d’intérêt chez les agriculteurs », conclut-il. 

Bernard Lepage, collaboration spéciale