Alimentation 8 janvier 2021

Le défi d’approvisionner Heinz en tomates du Québec

Les Producteurs de légumes de transformation du Québec (PLTQ) ont eu une rencontre virtuelle avec des représentants de Kraft Heinz Canada, le 14 décembre, pour discuter de la possibilité de produire du ketchup à partir de tomates du Québec, d’ici quelques années, à l’usine de Montréal. Bien qu’intéressante pour certains producteurs locaux, cette nouvelle occasion d’affaires comprend son lot de défis.

« Pour que l’usine de Mont-Royal s’approvisionne localement, il faudrait d’abord qu’on construise une usine de transformation de pâte de tomates au Québec, car il n’y en a pas en ce moment. Et ça, c’est une contrainte majeure », explique Mélanie Noël, directrice générale des PLTQ.

En novembre dernier, le gouvernement du Québec a accordé un prêt de 2 M$ à Kraft Heinz Canada pour la mise en place d’une chaîne de production de ­ketchup à son usine de Montréal, dès l’an prochain. Cette dernière, selon les ententes en vigueur, s’approvisionnera toutefois en tomates de la Californie pour les trois ­prochaines années.

« D’autres défis subsistent avant qu’on puisse produire pour Heinz. Ça fait des années qu’on ne produit pas ou presque pas de tomates de transformation au Québec, parce qu’il n’y a plus d’usine de transformation », ajoute Mme Noël.

Des cultivars adaptés au Québec et à Heinz

Pierre-Luc Barré, producteur de légumes destinés à la transformation, notamment de pommes de terre, en Montérégie, a manifesté son intérêt à cultiver des tomates pour la fabrication de ketchup. Selon lui, l’idée de produire localement pour l’usine Kraft Heinz de Montréal d’ici trois ans est envisageable, à condition que l’entreprise partage sa recette et ses besoins précis avec les agriculteurs, pour que ceux-ci soient en mesure de faire les tests requis d’ici là. « Il va falloir trouver les bons cultivars et les bonnes variétés de tomates qui seront adaptés aux conditions et au climat du Québec, et qui répondront aussi aux besoins précis de Heinz », soutient l’agriculteur de Saint-Damase. « C’est certain que ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais en trois ans, ça se peut », dit-il.

De son côté, Heinz Kraft Canada a confirmé que son objectif à long terme est d’« explorer la possibilité de s’approvisionner en tomates du Canada et du Québec ».

Partage de connaissances nécessaire

Selon la conseillère en production maraîchère à la direction régionale de la Montérégie du ministère de l’Agriculture, Christine Villeneuve, l’Ontario, qui produit 4 000 hectares de tomates de transformation, a une longueur d’avance dans ce secteur d’activité par rapport au Québec, qui ne produit actuellement ce légume que pour le marché frais. Elle précise que le ketchup des marques maison des grandes ­bannières d’alimentation et de certaines marques comme French’s est souvent fait à partir de tomates ontariennes. « Il faudrait qu’il y ait un partage de connaissances qui se fasse », indique-t-elle,  soulignant qu’un travail en Ontario, avec l’aide de chercheurs, se fait depuis longtemps pour développer des variétés de tomates de transformation adaptées aux conditions agronomiques et climatiques locales.

Il faudrait vérifier, selon elle, si ces variétés sont accessibles aux producteurs québécois, qui disposent d’un mois de moins de chaleur que leurs confrères de l’Ontario. « Les défis agronomiques sont grands ici », admet l’experte, selon qui un autre obstacle repose sur la mécanisation de la cueillette et sur la machinerie que les producteurs maraîchers devront se procurer afin d’être compétitifs pour le marché de la fabrication de pâte de tomates.

Au Québec, la récolte dépend beaucoup de la main-d’œuvre, rappelle Mme Villeneuve. Outre les producteurs maraîchers, ceux de grandes cultures ont aussi un potentiel, selon elle, de se lancer dans la culture de tomates de transformation, à condition qu’ils s’équipent des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte requis. « C’est possible de produire des tomates de transformation pour Heinz au Québec, mais il y a beaucoup de choses à mettre en place pour y parvenir », soutient l’agronome.