Vie rurale 19 septembre 2014

L’agriculture comme outil d’insertion

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L’histoire de Roman est l’une des belles réussites du programme de D-Trois-Pierres, un organisme dont la mission sociale est d’aider la réinsertion des jeunes à risque dans la société.

MONTRÉAL – Dans la vie, il y a de ces rencontres qui arrivent au bon moment. Celle avec une serveuse d’un casse-croûte qui a dit à Roman Pokorski qu’il y avait du boulot à la ferme écologique du parc-nature du Cap-Saint-Jacques pour des jeunes qui voulaient travailler en agriculture est un parfait exemple.

Roman tournait en rond au Cégep du Vieux-Montréal. Le jeune rebelle passait plus d’heures avec le comité étudiant à planifier des manifestations, qui lui ont valu des démêlés avec la police, qu’à bosser dans ses cours. Après quatre sessions à bien s’amuser, il n’avait toujours pas d’idée de ce qu’il voulait accomplir dans la vie.

La conversation avec la serveuse a fait son bout de chemin. Travailler sur une ferme était tentant; depuis qu’il était tout jeune, Roman aimait la nature et les sciences naturelles. Il était fasciné par le fait qu’une petite semence peut donner plein de tomates.

Dix ans plus tard, Roman raconte que ce coup de coeur, cette décision de quitter le cégep et de postuler à D-Trois-Pierres, lui a permis de réinventer sa vie. L’automne dernier, avec sa conjointe Geneviève, il achetait une ferme de 28 hectares à Saint-Adelphe, en bordure de la rivière Batiscan, afin de s’établir en agriculture. L’entreprise qu’ils viennent de créer sous le nom Les jardins de l’Apothicaire se spécialisera dans la production de paniers bio, la culture d’ail biologique et de plantes médicinales.

Des jeunes à risque

L’histoire de Roman est l’une des belles réussites du programme de D-Trois-Pierres, un organisme dont la mission sociale est d’aider la réinsertion des jeunes à risque dans la société.

Le but en leur donnant des tâches à faire, tant du côté horticole qu’en production animale, n’est pas de les transformer en travailleurs agricoles, explique Judith Colombo, agronome et directrice agricole qui coordonne la production. C’est une façon de redonner de l’estime de soi aux jeunes qui ont des troubles de comportement, de leur donner une chance de s’outiller pour mieux faire face aux exigences du marché du travail.

« Notre clientèle est essentiellement urbaine, dit Mme Colombo. Il n’y a pas de lien naturel entre les jeunes et l’agriculture, mais les compétences transversales, comme on appelle ça en éducation, comme la ponctualité et l’importance du travail bien fait, peuvent être utilisées dans d’autres domaines. »

Après deux entrevues pour déterminer le sérieux de leur démarche, les jeunes sont embauchés pour un stage rémunéré dont la durée est d’environ sept mois et demi. Il n’y a pas de date prédéterminée pour entrer dans un programme, mais les candidats ont cependant un mois de probation pendant lequel ils doivent décider s’ils sont prêts à s’investir pleinement et entièrement pendant la durée du stage; cette période de réflexion donne également la chance aux intervenants de mieux connaître les candidats et de déterminer lesquels seraient les plus aptes à en bénéficier.

« Il faut que la motivation du jeune soit très élevée dès le départ, car c’est un travail qui est difficile physiquement et on est loin de tout, poursuit Mme Colombo. Souvent ils ont à faire une heure à une heure et demie de transport, aller-retour, donc c’est très exigeant. » Par ailleurs, ceux qui réussissent reçoivent une attestation de compétence de la commission scolaire, qui facilite un retour au travail ou aux études, s’ils le souhaitent.

Roman est l’un de ceux qui ont attrapé la piqûre de l’agriculture après avoir complété le parcours de D-Trois-Pierres. Il a poursuivi ses études avec un DEP (Diplôme d’études professionnelles) à l’École d’horticulture du Jardin botanique de Montréal, puis une ASP (Attestation de spécialisation professionnelle) en horticulture dans les bonzaïs, les plantes médicinales et la production de cactus.

Grâce à ses nouvelles connaissances, Roman est recruté pour aider au démarrage d’un jardin biologique à Baie-du-Febvre et pour travailler dans un jardin communautaire à Verdun pendant deux ans. Par la suite, il travaillera à la réalisation d’aménagements paysagers et participera aux Mosaïcultures de Montréal de 2007, avant d’entreprendre son projet de vie avec Geneviève.

« Depuis les huit années que je travaille ici, au moins quatre projets de ferme ont été démarrés par des anciens de D-Trois-Pierres », dit Mme Colombo.

Retrouver confiance

Quant à Alice, qui a préféré donner son témoignage sous pseudonyme, elle dit être extrêmement reconnaissante envers D-Trois-Pierres pour lui avoir redonné confiance en elle-même. « On peut dire que c’était un retour aux sources qui m’a fait du bien. »

Le parcours scolaire d’Alice s’est avéré rempli d’embûches. Elle n’aimait pas l’école et, comme la plupart des dyslexiques, elle trouvait que la pédagogie était mal adaptée à ses besoins. Son diplôme d’études secondaires avec une spécialisation en plâtrage ne lui a pas été d’une très grande utilité; peu de temps après avoir eu son premier emploi, elle a découvert qu’elle était allergique à la poussière de plâtre!

En quête d’emploi, et secouée après avoir vécu une suppression de poste dans un deuxième emploi, Alice plonge dans une profonde dépression. Elle entre à Jeunes au Travail, une ferme biologique qui est à la fois un centre de formation, d’employabilité et de soutien psychosocial pour les jeunes de 16 à 25 ans à Laval, dans un état d’extrême fragilité. Le stage permet aux jeunes de donner un nouveau sens à leur vie en leur permettant de se familiariser avec divers travaux manuels. Alice s’y plaît. Elle travaille aux cuisines, à faire de la construction et de la mécanique, mais ce qui lui plaît le plus, c’est l’agriculture. Au terme du programme de six mois, elle postule à D-Trois-Pierres.

Alice est accueillie à bras ouverts à la fin août 2009; elle tombe pile, il n’y a jamais trop de personnel pendant le temps des récoltes! Lorsque vient le temps de faire la rotation des tâches, et qu’elle est assignée à l’étable, Alice découvre qu’elle aime soigner les animaux. Elle s’en occupe si bien d’ailleurs qu’on la charge d’enseigner son savoir-faire aux jeunes recrues. L’expérience est à ce point valorisante qu’Alice rêve de trouver un travail un jour qui lui permettra d’avoir un contact avec les animaux au quotidien.

Pour le moment, elle s’apprête à retourner travailler pour un élagueur de l’ouest de l’île de Montréal dès que la température le lui permettra. Elle est fière d’avoir déniché cette opportunité de travailler à la suite d’une démarche de recherche d’emploi effectuée à la fin de son stage. L’employeur ne cherchait pas à embaucher de personnel, explique-t-elle, mais il s’est ravisé en apprenant qu’elle venait de terminer un stage à D-Trois-Pierres. La coïncidence veut qu’il y fût passé lui aussi, quelques années auparavant.

Pour Mme Colombo, ces témoignages justifient le travail qu’elle fait au quotidien. Elle, qui rêvait jadis de partir travailler dans des pays en voie de développement pour pouvoir travailler sur les enjeux qu’elle trouvait importants, n’a pas eu finalement à voyager très loin pour accomplir ses objectifs. D-Trois-Pierres lui a permis de rallier son intérêt pour l’agriculture locale et biologique et d’aider les jeunes en même temps. « Je me suis rendu compte que les enjeux sociaux et les défis en ce qui concerne l’agriculture de proximité au Québec étaient tout aussi importants et intéressants à relever », dit-elle.