Actualités 19 septembre 2014

Les agriculteurs haïtiens ont besoin d’une UPA

« La reconstruction de mon pays passe par l’agriculture. C’est le secteur le plus important parce que ça fait travailler et ça nourrit les gens « , dit Jean Roland, un jeune cultivateur de 29 ans.

Port-au-Prince (Haïti) – Haïti n’a ni souveraineté ni sécurité alimentaires. Le petit pays de dix millions d’habitants importe 60 % de ses aliments et ce pourcentage est de 80 % pour le riz. Surexposé aux prix des denrées du marché international, d’autres émeutes de la faim comme celles de 2008 sont à craindre. Regroupée sous l’Alliance agricole internationale (AAI), l’expertise agricole québécoise tente de sauver un patient qui survit entre catastrophes naturelles et crises politiques. Pourtant Haïti peut s’en sortir, à condition que ses dirigeants misent sur sa paysannerie. Le correspondant de la Terre vous livre ici le premier de deux reportages inédits.

« Les paysans haïtiens ont besoin d’une UPA. Et, avec le concours de l’Église catholique, nous allons changer la face de ce pays! » dit en entrevue Yvan Girardin, représentant de Développement et Paix en Haïti. Consacrant un budget de 3 M$ à l’agriculture, l’ONG tente de remettre le pays sur ses rails en appuyant les projets de deux associations paysannes, l’une à Croix-des-Bouquets près de Port-au-Prince, et l’autre, le Mouvement Paysan Papaye (MPP), à Hinche, dans le plateau central, à environ quatre heures de route de la capitale dévastée.

Rencontré à Port-au-Prince, M. Girardin s’indigne des conditions des camps dans lesquelles vivent 1,5 million de sinistrés, la plupart des paysans, un an après le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010. Et de l’absence apparente de l’octroi de 10 G$ US promis par la communauté internationale pour la reconstruction du pays. Cette aide, selon lui, ne ferait qu’enrichir « la même minorité » au détriment d’une population à 65 % rurale et à 80 % catholique. « On parle de reconstruction, mais il faut également parler de refondation de la société haïtienne, sinon, dans cinq ans, on ne sera pas plus avancé », ajoute-t-il.

La sortie de M. Girardin survenait quelques jours avant le débat public sur un projet de loi d’une nouvelle politique agricole promue par le ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement durable, Joanas Gué, le 1er février dernier. Ce plan (2010-2025), financé sur cinq ans à raison de près de 800 M$ US, vise à faire de l’agriculture un vibrant secteur économique. Et à assurer un peu plus de sécurité alimentaire à un pays qui importe 60 % de ses besoins nourriciers.

« Nous visons à créer un milieu propice pour attirer des investissements afin de développer des filières de production, tels le riz, la patate et l’igname, et de moins dépendre des importations », a indiqué en substance le ministre Gué, lors d’une conférence de presse à l’hôtel Kariko. La chic station balnéaire réunissait les principaux bailleurs de fonds de ce plan (ACDI, BID, PAM, USAID) et certaines associations paysannes.

« Le gouvernement a manqué son coup. C’est trop peu trop tard!  » a commenté pour sa part Me Francisque Mayas, avocat et représentant de la chambre agricole de Grand’Anse, lors d’une solide prise de bec avec le ministre Gué sur la centralisation du pouvoir à Port-au-Prince. « Après le séisme, environ 200000 personnes se sont déplacées vers Grand’Anse pour y rester. Mais malgré les conditions infernales, elles sont reparties vers la capitale parce qu’il n’y avait aucun moyen de prise en charge. Toute politique agricole passe par la décentralisation! » a expliqué M. Mayas à la Terre.

Évacuée de ce plan est aussi la question cruciale de la réforme agraire, jalonnée de conflits sanglants, et nouvellement baptisée « sécurisation foncière ». « Pas un paysan ni un homme d’affaires ne va investir sur sa terre ou dans une entreprise agroalimentaire tant que la question de la propriété foncière ne sera pas réglée. On devrait profiter de la situation créée par le tremblement de terre pour mettre fin à l’anarchie qui règne », déclare Bernard Éthéart, directeur de l’Institut national de la réforme agraire (INARA).

« Il faut non seulement parler de crédit agricole, mais aussi d’assurance récolte. Comment voulez-vous définir une politique agricole en l’absence des principaux acteurs », reproche de son côté Jean-Baptiste Chavannes, président et fondateur du Mouvement Paysan Papaye (MPP), qui n’était pas sur la liste des invités du ministre Gué à l’hôtel Kariko.

Axé sur l’agriculture biologique, le MPP, qui regroupe 60000 producteurs, travaille avec trois autres associations paysannes pour se doter d’une seule voix (MPNKP, Tête Collée, Cross). « Nous avons nos divergences. Mais nous allons y arriver. C’est dans notre intérêt et celui d’Haïti. L’UPA ne s’est pas formée en un seul jour », dit le leader paysan qui a déjà visité le Québec.

ACDI : Agence canadienne de développement international

BID : Banque interaméricaine de développement

FAO : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

PAM : Programme alimentaire mondial de l’ONU

USAID : United States Agency for International Development

 

Texte et photos de Nicolas Mesly