Environnement 28 février 2018

Québec serre la vis en environnement

Malgré l’absence d’un portrait agroenvironnemental récent des fermes de la province, Québec lance une série de nouvelles règles environnementales et resserre celles déjà en place. Ces mesures entraîneront des coûts importants pour les producteurs.

Le point de départ des réformes mises en place par Québec dans ses règlements est la modernisation de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) en mars 2017. Québec avait alors introduit un nouveau régime d’autorisation pour tous les projets selon quatre niveaux de risque (négligeable, faible, modéré et élevé). Tous les règlements devaient donc moduler les exigences en fonction de ce principe général. 

C’est ce qui a donné le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement (REEIE), publié en décembre 2017, et pour lequel la période de consultation est terminée. Une série d’autres règlements encadrant l’agriculture ont été l’objet de propositions de modifications déposées le 14 février et sont toujours en consultation.

Même si les ministres Isabelle Melançon et Laurent Lessard défendent tous les deux le développement durable, ils n’ont pas la même sensibilité aux impacts de la réglementation sur le développement ou la compétitivité de l’agriculture.

Mieux encadrer

IsabelleMelançon« Notre volonté est de mieux encadrer le secteur agricole et encadrer mieux ne veut pas dire encadrer plus. Au cours des dernières années, les entrepreneurs agricoles ont grandement fait évoluer leurs pratiques agroenvironnementales et nous devons moderniser notre réglementation en conséquence. Nous vous assurons que nous mettons en place les moyens pour accompagner les entreprises agricoles, maintenant et pour les prochaines années », a laissé savoir le cabinet de la ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Isabelle Melançon

« Régler les niaiseries »

IMG_0130Le ministre de l’Agriculture du Québec, Laurent Lessard, invite les producteurs à lui faire part de leurs commentaires quant aux modifications apportées au Règlement sur les exploitations agricoles (REA), notamment la mince ouverture du moratoire sur les superficies en culture. « J’ai besoin de tout votre talent pour être capable de régler les niaiseries. T’enterres ton tas de roches. On peut-tu juste replanter dessus? Tu mets fin à ton chemin de ferme et tu ne peux rien y planter parce que tu augmenterais ta superficie. […]. On va commencer par se servir de notre gros bon sens et regarder comment on peut développer les terres que vous possédez, tout en faisant du développement durable », a-t-il déclaré devant les quelque 300 délégués de La Coop fédérée, réunis en assemblée générale annuelle. M. Lessard a souligné l’importance de développer le territoire agricole pour atteindre les objectifs qui seront fixés par la future politique bioalimentaire sur laquelle son ministère travaille.

Voici les principaux impacts de ces nouvelles orientations sur l’agriculture.

Moratoire sur les superficies

« On avait beaucoup d’attentes par rapport au Règlement sur les exploitations agricoles [REA], mais c’est une vraie farce », a lancé Martin Caron, vice-président de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Le projet de modification du REA vient ouvrir partiellement le moratoire sur les superficies en culture. Il y aura cependant cinq conditions à respecter. Les milieux humides, comme les tourbières ou les marécages, sont exclus d’emblée.

Le sol ne doit pas être mis à nu lorsqu’il s’agit de maïs, de soya ou de céréales. Cela équivaut à exiger le semis direct ou les cultures de couverture;

Les cultures doivent être réalisées à 15 mètres des milieux humides ou hydriques;

Le plan agroenvironnemental de fertilisation doit être respecté;

La production doit être certifiée biologique ou, du moins, se faire sans pesticides;

La production doit se trouver dans un sous-bassin qui contient moins de 0,03 mg/L (ou 30 µg/L) de phosphore.

L’ouverture du moratoire sur les superficies en culture par Québec est donc limitée par le type d’agriculture (bio ou sans pesticides). Martin Caron estime que cette ouverture ne pourra compenser les pertes au profit d’autres usages non agricoles. Il fait également valoir que la problématique du phosphore demeure, tant en production bio que conventionnelle. Par ailleurs, le manque de données sur la qualité de l’eau de plusieurs sous-bassins pourrait aussi retarder la mise en culture de nouvelles superficies.


Des autorisations coûteuses

Le 31 janvier, La Terre a présenté une analyse des nouvelles exigences et des coûts relatifs à l’autorisation de projets d’agrandissement ou de construction de bâtiments qui comptent plus de 600 unités animales (gestion liquide) ou 1 000 unités animales (gestion solide). 

Toutefois, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) vient de modifier la catégorie tarifaire de l’agriculture (de la 3 à la 2), ce qui réduit de 40 % les sommes à verser au ministère pour obtenir les autorisations nécessaires. La facture s’élève tout de même encore à près de 26 000 $. Elle grimpe à plus de 73 000 $ avec la tenue d’audiences publiques. L’UPA réclame toujours le droit de faire partie de la catégorie 1, dont les frais totalisent 8 318 $.

Selon l’Union, le MDDELCC s’est montré ouvert à l’idée de hausser les seuils d’assujettissement de 600 et de 1 000 unités animales. Au cabinet de la ministre de l’Environnement, on indique que la période de consultation relative au projet de règlement servant à moderniser le REEIE s’est terminée le 11 février et que près de 80 mémoires ont été soumis. « Le ministère analyse présentement les mémoires déposés. Aucune décision n’a été prise quant aux modifications à apporter au règlement », a-t-on indiqué à La Terre.

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Peu d’ouverture pour les milieux humides

Québec resserre les règles entourant certains milieux humides. Il sera possible d’exploiter certains autres de ces milieux, mais le gouvernement exigera des compensations variables qui pourront atteindre 40 $/m2 dans les zones géographiques où ils sont plus rares. Un certificat d’autorisation serait nécessaire. L’UPA attendait aussi une plus grande ouverture pour la mise en culture de certaines terres classées comme milieux humides, considérant que l’activité agricole est réversible. L’impact est encore incertain pour la foresterie. « Le règlement est excessivement complexe », estime Marc-André Côté, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec. Il se demande notamment s’il sera toujours possible de faire des chemins et des traverses dans les tourbières arborées et les marécages, qui représentent de 8 % à 21 % de la superficie des boisés privés, selon les différentes régions.

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Captage de l’eau

La proposition réglementaire ramène notamment la nécessité de réaliser une étude hydrogéologique dès qu’il y a un prélèvement de 379 m3 par jour. Cette exigence avait été abandonnée en 2014. Selon l’UPA, ce volume peut être nécessaire pour un seul épisode d’irrigation sur moins de 2 hectares de légumes. Martin Caron soulève également que « les études hydrogéologiques coûtent extrêmement cher » et craint que des producteurs perdent certains droits acquis.


Prescriptions agronomiques

Selon l’Union, la prescription par un agronome des cinq pesticides les plus à risque pourrait coûter 500 $ à un producteur de grains ou même 700 $ aux maraîchers. Éviter de semer des semences enrobées à 15 mètres des cours d’eau pourrait aussi représenter des frais.

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Traitement de l’eau de lavage des légumes

Jusqu’à maintenant, il n’y avait pas de règlement spécifique encadrant le lavage des légumes. Avec la nouvelle donne, cette activité pourra être l’objet d’une déclaration de conformité, moins exigeante qu’un certificat d’autorisation, si 50 % de ce qui est lavé provient de la ferme. Cependant, un traitement des eaux usées sera exigé pour que les matières en suspension soient de moins de 50 mg/l, ce qui pourrait représenter plusieurs milliers de dollars pour certains maraîchers.