Vie rurale 14 février 2018

Ces jeunes qui propulsent l’agriculture

De jeunes producteurs s’imposent comme leaders pour propulser l’agriculture québécoise. Certains maîtrisent les chiffres de leur entreprise avec un aplomb déconcertant. D’autres sont devenus des influenceurs notoires grâce à leur popularité sur les médias sociaux.

Le terme « relève » est plus tendance que jamais. Les banques, les coopératives et la plupart des instances agricoles ne manquent pas de souligner leur intérêt à l’égard de la jeune génération. Et que dire du ministre de l’Agriculture du Québec, qui assiste religieusement à l’assemblée générale annuelle de la Fédération de la relève agricole du Québec, lui qui ne se présente pas à celle de plusieurs organisations importantes?

Marie-Ève Rivard, productrice de lait
Marie-Ève Rivard, productrice de lait

L’élan

« Je crois que cette génération va donner un élan qui solidifiera notre modèle agricole », affirme Jean-Claude Dufour, le doyen de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. « Les jeunes ont un leadership entrepreneurial évident, poursuit-il. Ils aiment le risque, mais ont compris comment le réduire. Ils sont aussi conscients que seuls, ils n’iront pas loin. Le réseautage est important pour eux. »

La productrice Marie-Ève Rivard, 27 ans, assure que sa génération n’aura pas le choix d’être performante et efficace. « La mondialisation va nous affecter plus que nos parents, croit-elle. Les marges sont plus serrées, sans oublier la gestion de l’offre qui peut disparaître. »

À la Banque Nationale, Vincent Turgeon indique que la jeune génération sait très bien compter. « Les jeunes te parlent de finances et de rentabilité. Ce sont des sujets encore tabous pour les baby-boomers. Ils concentrent leurs investissements dans des actifs productifs et s’adaptent aux nouvelles situations », remarque celui qui a rencontré 1 200 jeunes depuis sept ans dans le cadre de transferts d’entreprises agricoles. « Je constate aussi qu’ils sont plus transparents sur leur situation, même quand ça va mal. Ils vont chercher les ressources appropriées, ce qui est un plus. Par contre, ils sont parfois trop impatients », explique M. Turgeon.

Valoriser le métier

De nombreux jeunes producteurs alimentent des comptes Twitter et Facebook auxquels sont abonnés des journalistes. De là, plusieurs reportages utiles à l’agriculture ont été réalisés. Sur la Côte-Nord, Jason Perron était à l’antenne de Radio-Canada en mars dernier pour parler de la relève. Comme plusieurs, il effectue des représentations pour valoriser le métier d’agriculteur. « Ce n’est pas assez reconnu dans ma région; il faut sortir de l’état de stagnation », mentionne-t-il.

Michael Sarrazin, conseiller municipal de Coteau-du-Lac
Michael Sarrazin, conseiller municipal de Coteau-du-Lac

Plus de calculs, plus de profits

Rien n’est laissé au hasard chez la jeune génération. Elle veut faire différemment, faire mieux, et ses projets sont calculés en conséquence.

Après avoir fait robotiser sa ferme laitière de Magog et pris le leadership de la productivité du troupeau, Jean-Philippe Côté s’est tourné vers son meilleur allié : son chiffrier Excel. L’entreprise se base plus que jamais sur l’analyse de ses résultats pour se donner des objectifs clairs. D’autant plus que les marges de manœuvre seront plus limitées dans l’avenir, assurent les jeunes contactés par La Terre.

Plusieurs misent sur l’expertise de conseillers pour propulser leur entreprise et lui permettre d’être compétitive. « Le prix du lait baisse. Si tu veux pouvoir garder ta ferme, il faut parler de marges nettes », insiste Frédéric Marcoux. Avec trois jeunes de sa région, il envisage d’acheter de la machinerie en commun et de partager la main-d’œuvre, comme cela se fait en Europe, pour diminuer les coûts.

Frédéric Marcoux, président du Syndicat de l’UPA de La Nouvelle-Beauce
Frédéric Marcoux, président du Syndicat de l’UPA de La Nouvelle-Beauce

Encore des barrières

Tout n’est pas rose chez la jeune génération. Même si le mot « relève » est tendance, certains jeunes talents dérangent avec leurs idées ou leur popularité sur Facebook alors que d’autres ne sont pas pleinement écoutés au sein même de leur propre entreprise familiale.

« Lorsqu’un jeune publie des posts populaires sur les médias sociaux, ça montre qu’il est dans l’action, mais ça peut en froisser certains. Il peut alors se faire “barrer” dans une organisation parce que d’autres ont peur qu’il leur porte ombrage et qu’il prenne leur place. Mais c’est à eux de s’adapter »,
croit Frédéric Marcoux, président du Syndicat de l’UPA de La Nouvelle-Beauce.

Être une femme dans le monde agricole constitue une deuxième barrière, selon Julie Lefort. « J’ai l’air tellement jeune et j’ai une voix aiguë. Les vieilles générations ont de la difficulté à me faire confiance et à [me prendre au sérieux] », explique-t-elle. Aux commandes d’une des plus grandes entreprises de culture en serre du Québec, elle dit aussi devoir constamment se prouver aux yeux des plus vieux.

Michael Sarrazin et son beau-frère Mario Vincent aimeraient amorcer un virage au sein de leur entreprise laitière, mais pour l’instant, le propriétaire ne l’entend pas ainsi. Leurs projets de conversion vers la production biologique et d’ouverture d’une fromagerie à la ferme devront attendre. 

Philippe Pagé, maire de Saint-Camille.
Philippe Pagé, maire de Saint-Camille.

Politique municipale

S’il y a un endroit où les jeunes sentent qu’ils peuvent avoir de l’influence, c’est en politique municipale. Le nouveau maire de Saint-Camille en Estrie a grandi dans une ferme porcine. À 32 ans, il veut développer sa municipalité, notamment en offrant des incitatifs aux producteurs qui désirent s’établir ou agrandir leur entreprise. « Une municipalité, on peut faire ce qu’on veut avec. On peut prendre ça relaxe et faire du surplace. Moi, je veux qu’on soit une locomotive, qu’on soutienne les fermes familiales, car leur force assure notre pérennité et crée de la richesse », dit Philippe Pagé, qui travaille sur un concept de congé de taxes pour toute nouvelle construction agricole.

Le producteur laitier Michael Sarrazin, qui a 36 ans, siège depuis quatre mois au conseil municipal de Coteau-du-Lac en Montérégie. Son cheval de bataille? La création d’une coopérative laitière qui, comme Nutrinor, s’occuperait de la mise en marché et de la transformation du lait de la quarantaine de fermes de la région. Quant à Jean-Sébastien Savaria, il profitera de son deuxième mandat au conseil municipal de Saint-Barnabé-Sud en Montérégie pour s’attaquer au rôle d’évaluation. « Je pense que là, ça va faire mal, dit l’agriculteur de 30 ans. Les marges sont moins hautes en grandes cultures et les agriculteurs vont se réveiller. »

Ils tirent avantage des réseaux sociaux

« L’une des principales différences entre la génération qui nous a précédés et nous, c’est qu’on est dans l’instantanéité », affirme la présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), Michèle Lalancette. L’agricultrice du Lac-Saint-Jean soutient que les jeunes sont plus alertes, plus informés et plus réactifs que leurs parents, ce qui fait passer les entreprises à la vitesse supérieure.

Également habitué à l’instantanéité, Jean-Sébastien Savaria était nerveux en 2015 lors des négociations du nouveau Partenariat transpacifique. Sa fédération ne lui fournissait des informations sur l’avancée des négociations qu’une fois par semaine. Les organismes comme La Financière agricole du Québec s’adaptent et tentent d’augmenter leur présence sur les réseaux sociaux.

Les médias sociaux sont plus qu’un moyen de communication : de nombreux jeunes entrepreneurs s’en servent comme un gigantesque centre d’entraide. « Les médias sociaux te permettent d’avoir l’avis de nombreux producteurs avant d’effectuer un investissement important, et non juste celui du vendeur », atteste la jeune diplômée en agronomie Marie-Ève Rivard.

L’acéricultrice Marie-Pier Béliveau utilise Instagram et Facebook pour rejoindre ses clients, créer des partenariats et saisir des opportunités « qui peuvent disparaître après 15 minutes », dit celle qui suit présentement une formation en entrepreneuriat agricole à l’Université Laval.

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