Vie rurale 14 décembre 2017

Ce samedi-là en raclant

Les récoltes sont maintenant finies pour nous. Les animaux sont sortis des pacages et nous avons commencé à vendre nos veaux.

On se prépare tranquillement à la nouvelle saison de vêlage qui va débuter dans quelques semaines. Cette saison apporte son lot de travail et de surprises, de belles comme de moins belles. Nous avons quand même très hâte de voir le résultat des choix de taureaux que nous avons faits il y a neuf mois. C’est une des raisons pourquoi j’ai recommencé à aimer l’hiver, pour les vêlages et la saison des reproductions qui suit pas très loin. Par contre, les beaux jours d’été vont me manquer quand même durant tous ces mois.

Ces beaux jours d’été où il fait chaud avec une belle brise et que ça sent le foin frais coupé. Ces journées où j’en passe une grande partie à racler. Mais j’aime ça racler, cela me permet de penser à plein de choses tout en travaillant. Et cette année, même en fin de saison, il faisait tellement beau et chaud. C’était réellement plaisant.

Je me rappelle un samedi après-midi, où je raclais de la deuxième coupe sur une terre en location, j’ai eu une pensée pour le vieil homme qui nous avait loué cette terre, il y a déjà plusieurs années. L’homme avait plus de 80 ans à cette époque et la terre avait été laissée à elle-même depuis des années. Quand il m’avait vue arriver avec le râteau la première fois, il était venu me rejoindre en pantoufles avec une fourche à la main et le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Jusqu’à sa mort, quelques années plus tard, il l’a toujours fait. Quand je lui avais fait signer le premier bail de location, je lui avais demandé si on pouvait mettre du fumier. Il m’avait répondu : « Oui, pis mets-en, pis n’importe lequel, ça dérange pas! »

À cette époque, je trouvais le monsieur bien drôle, mais je n’avais rien compris… Je n’avais pas compris ce que ça représentait pour lui, le fait que des jeunes aient décidé de cultiver à nouveau sa terre. Mais ce samedi-là en raclant, j’ai compris et oui, j’ai eu une grosse pensée pour cet homme et un pincement au cœur. Car ces champs-là, ça représentait le travail de toute une vie et cet homme-là en vieillissant avait dû faire de gros deuils : le deuil d’une relève (aucun de ses enfants n’avait de l’intérêt pour l’agriculture), le deuil de ses animaux, le deuil de l’agriculture, le deuil de voir ses champs cultivés, car même un étranger n’avait voulu continuer son travail sur ses parcelles de terre dans ce fond de rang.

Aujourd’hui, quand j’y repense, ce que je comprends, c’est que lorsque nous avons loué ses terres, nous avons mis un peu de baume sur ses deuils. Quand il venait replacer quelques couettes de foin sur mes rangs, il revivait un peu de sa jeunesse.

Cet automne, s’il pouvait nous voir faire de la belle deuxième coupe dans ses champs, alors impossible quand nous avons commencé à louer, maudit qu’il devait être heureux et qu’il devait chercher ses pantoufles et sa fourche… 

Geneviève Raby, Agrimom

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