Vie rurale 9 novembre 2017

Le fruit du hasard

Au détour des années 1980, quand il a choisi le lopin de terre de Petite-Rivière-Saint-François où il construirait son chalet, Claude Jolicoeur n’avait cure des quelques dizaines de vieux pommiers chétifs qui y vivotaient dans un verger en friche.

Celui qui rédigeait à l’époque son mémoire de maîtrise sur l’énergie solaire était bien davantage attiré par le positionnement franc sud du terrain.

Le destin a cependant semé des pommes sur la route de Claude Jolicoeur. « Je me suis amusé à tailler les pommiers, qui se sont mis à produire. Mais que faire de tous ces fruits? J’ai commencé à fabriquer du cidre, pour le plaisir, avec de la cortland », explique-t-il.

Ses premières cuvées ne l’ont guère impressionné. « Je me disais que ça pourrait être meilleur que ça et j’ai découvert qu’il existait des pommes à cidre, différentes de celles à croquer, qui donnent du corps et de la structure au cidre », poursuit-il. En plus de 30 ans, ses nombreuses expérimentations, largement documentées, l’ont amené à atteindre le statut de sommité mondiale dans le secteur de la cidriculture. Ses livres sur le sujet trouvent d’ailleurs preneurs aux quatre coins de la planète.

Variétés uniques

Chaque année, Claude Jolicoeur récolte environ une tonne de pommes sur sa parcelle. Les techniques de greffe n’ont plus de secrets pour lui. Il possède des arbres comportant jusqu’à 20 variétés de pommes, dont certaines qui sont uniques, comme la douce de Charlevoix et la banane amère, qu’il a mises au jour et baptisées. Leurs propriétés cidricoles sont excellentes et le producteur tente de « propager la bonne nouvelle ».

Évidemment, Claude Jolicoeur ne s’est pas fait que des amis en adoptant cette ligne de pensée perçue comme puriste par plusieurs. « Je dérange un peu. Il y a des producteurs qui n’aiment pas entendre que leur cidre pourrait être meilleur s’il était fait avec des variétés de pommes plus appropriées », lance le cidriculteur avec un sourire en coin.

Son intention n’est cependant pas de semer la zizanie, mais bien de permettre au Québec de développer de l’intérêt à l’égard du cidre, dont la vente demeure marginale, puisque les Québécois en consomment une bouteille tous les deux ans en moyenne.

« Ce que j’aimerais, fondamentalement, c’est démontrer qu’on peut faire pousser d’excellentes pommes à cidre et encourager les producteurs d’ici à les intégrer, graduellement, pour améliorer les produits cidricoles du Québec », conclut Claude Jolicoeur.

Nourrir l’intérêt des jeunes

Les jeunes lui prêtent une oreille attentive. « C’est drôle, mais les jeunes vont souvent me prendre pour un gourou parce qu’ils veulent implanter des cidreries avec des pommes à cidre et ça me réjouit, sauf qu’ils se font mettre des bâtons dans les roues », avance M. Jolicoeur.

Il déplore que le Québec n’ait jamais adapté ses règles pour faciliter la vie aux nouveaux cidriculteurs, souvent des jeunes qui souhaitent élever la production à un autre niveau. « Pour se lancer, il faut être un agriculteur et avoir un minimum d’un hectare de pommiers en production. C’est beaucoup! Les dispositions de la Régie des alcools, des courses et des jeux sont contraignantes et il y a là une situation discriminatoire qui est à l’avantage des producteurs de pommes déjà établis. Et comme ceux-ci ne cultivent que des pommes à croquer, on tourne en rond! »

Claude Jolicoeur répond toujours présent lorsque des jeunes lui demandent conseil. Il prend plaisir à offrir des greffons à cette relève passionnée, à la mesure des capacités de son vieux verger.