Actualités 10 octobre 2017

2 000 acres de luzerne GM cultivés au Québec

Catastrophe pour les uns, percée technologique majeure pour d’autres : 2017 passera à l’histoire pour ses premières cultures de luzerne génétiquement modifiée (GM) en sol québécois.

On n’avait jamais cultivé de luzerne génétiquement modifiée au Québec, mais voilà que la controverse atteint un autre niveau : près de 2 000 acres de la luzerne HarvXtra ont été semés cette année au Québec, et plus de 8 000 acres en Ontario, prétend Jay Hackney, responsable de la gestion des traits de caractère chez Forage Genetics International. Il précise que déjà 30 % des superficies américaines sont semées avec ce type de plantes. Au Québec, les compagnies Pioneer, CROPLAN par WinField United et Pickseed en offrent.

La luzerne HarvXtra a été génétiquement modifiée pour résister à l’herbicide non sélectif de la compagnie Monsanto, le Roundup. Elle serait aussi plus faible en lignine et de 15 à 20 % plus digestible, donc plus nutritive pour l’animal.

Difficile de savoir combien de fermes exactement l’utilisent, mais chose certaine, La Terre a rencontré trois producteurs québécois qui cultivent présentement la luzerne GM. Ils se disent impressionnés par cette technologie, notamment lors de l’implantation. C’est le cas de Yoan Breton, en Montérégie. « Notre luzerne avait trop de compétition au début de l’été et le fait d’avoir pu l’arroser [avec du glyphosate] nous a permis d’avoir un champ propre. On a obtenu plus de rendement de luzerne pure. Ça fait une différence, surtout cette année où, avec l’humidité qu’on a connue, la luzerne conventionnelle aurait été étouffée par les graminées », décrit l’agriculteur.

La luzerne HarvXtra a été génétiquement modifiée pour résister au glyphosate (un herbicide non sélectif). La partie de gauche de ce champ a été pulvérisée de glyphosate par hélicoptère tandis que la partie de droite n'a pas pu être pulvérisée par le pilote, affichant un plus haut niveau de mauvaises-herbes.   Crédit photo : Martin Ménard / TCN
La luzerne HarvXtra a été génétiquement modifiée pour résister au glyphosate, un herbicide non sélectif. La partie de gauche de ce champ a été pulvérisée de glyphosate par hélicoptère, tandis que la partie de droite n’a pas pu l’être et affiche un plus haut taux de mauvaises herbes. Crédit photo : Martin Ménard / TCN

La conseillère en production végétale de l’Agrocentre Farnham, Mélanie Potvin, est enthousiaste quant aux promesses nutritionnelles de la luzerne GM. Elle mentionne que les troupeaux laitiers de plus en plus sollicités ont besoin de champs plus productifs en protéines. « C’est payant pour les fermes laitières de produire des fourrages contenant plus de protéines dans leurs champs au lieu de les acheter sous forme de suppléments. Aussi, plus la luzerne est digestible, plus la vache produit de composantes (gras). Ce sont deux avantages qu’on entrevoit avec la luzerne GM. »

La contamination serait inévitable

L’arrivée officielle de la luzerne GM ne fait pas l’unanimité. Plusieurs montent aux barricades, à commencer par les agriculteurs sous régie biologique qui redoutent les problèmes de contamination génétique causés par son utilisation. Les bio se souviennent de l’introduction du maïs, du soya et du canola GM, qui leur causent maintenant de réels problèmes.

« La moitié des lots de semences de maïs biologique affiche actuellement plus de 0,25 % d’OGM. Et avec toutes les cultures de maïs GM qui nous entourent au Québec, c’est vraiment difficile d’obtenir une récolte de maïs bio exempt d’OGM. Dans le soya, c’est moins pire, car la pollinisation est moindre, mais dans le canola bio, la contamination génétique est pratiquement systématique », constate David Proulx, propriétaire de RDR Grains et semences, à Nicolet.

Pour le chercheur et enseignant de l’Université de Guelph en Ontario Rene Van Acker, il est inutile d’attendre pour prendre position sur le dossier de la luzerne GM. « On a déjà l’information nécessaire : un niveau de contamination “zéro” sera impossible à atteindre. Si nous ne voulons aucune contamination, il ne faudra pas en cultiver, c’est tout. Par contre, [si les producteurs prennent] les précautions nécessaires, le risque de contamination ne sera pas énorme », tranche celui qui a réalisé plusieurs tests au Manitoba sur la luzerne GM.

De son côté, Forage Genetics International assure que les risques sont minimes, notamment parce que le Québec ne produit pas de semence de luzerne et que la plante est fauchée avant sa pleine floraison. Jay Hackney souligne que les producteurs signent un contrat d’utilisation les obligeant à récolter leur luzerne GM avant qu’elle n’atteigne un maximum de 10 % de floraison. Par ailleurs, explique M. Hackney, « si un transfert de pollen survient, ça ne veut pas dire qu’il y aura un transfert de gènes. Il y a plusieurs étapes [production d’une graine viable, germination, etc.] qui rendent difficile la propagation ».

Louis Rousseau, Dany et Richard Poulin perçoivent l'introduction de la luzerne GM comme une réelle menace pour leur entreprise. Crédit photo : Martin Ménard / TCN
Louis Rousseau, Dany et Richard Poulin perçoivent l’introduction de la luzerne GM comme une réelle menace pour leur entreprise. Crédit photo : Martin Ménard / TCN

Précautions insuffisantes

Les problèmes de contamination et de cohabitation font bondir le producteur laitier biologique Louis Rousseau, du Centre-du-Québec. « Quand on ne pourra plus certifier aux consommateurs que nos vaches sont alimentées avec des fourrages 100 % sans OGM, ça va semer le doute dans l’esprit des gens qui achètent du bio. On va perdre des parts de marché et on pourrait risquer de perdre notre certification. À ce moment-là, quels seront nos recours? On va traîner en cour d’autres agriculteurs parce qu’ils nous ont contaminés? On va traîner en cour les grandes compagnies pour perte de jouissance de nos terres? » demande M. Rousseau, qui détient par ailleurs un baccalauréat en biologie et une maîtrise en aménagement du territoire.

Pour son confrère Richard Poulin, l’enjeu n’est tout simplement pas pris suffisamment au sérieux par le gouvernement. « [Il] ne veut pas nous aider. Il ne pense pas plus loin que le bout de son nez. Et c’est ça, le problème : tout le monde se ferme les yeux », lance le producteur laitier biologique de Chaudière-Appalaches.

L’UPA s’en mêle

L’Union des producteurs agricoles (UPA), les Producteurs de lait du Québec et d’autres regroupements d’agriculteurs canadiens ont formellement demandé au ministre canadien de l’Agriculture de révoquer l’enregistrement des variétés de luzerne GM. Ils demandent entre autres la création d’un registre public les concernant.

Leurs démarches, tant auprès des autorités fédérales que provinciales, ont jusqu’à maintenant mené à des refus. « Québec nous dit que c’est de compétence fédérale et le fédéral nous mentionne que l’homologation [de la luzerne GM] est justifiée, car elle ne présente pas de risques pour la santé humaine. Je continue à croire qu’avec les risques [de contamination] que ça pose, il y a des responsabilités et des précautions qui ne sont pas prises par les gouvernements. C’est décevant », affirme le président de l’UPA, Marcel Groleau. Celui-ci entend poursuivre ses démarches tout en sensibilisant les producteurs aux risques de contamination.

Plus de détails dans l’édition papier du 11 octobre de La Terre de chez nous.