Actualités 15 mai 2017

Les boues d’épuration

Épandues conformément aux normes, elles sont sans danger et bénéfiques dans nos champs

Les boues d’épuration, aussi appelées biosolides municipaux, perpétuent une tradition millénaire qui considérait les excréments humains comme un puissant engrais. Au Québec, seulement 1,5 % des superficies cultivées reçoivent des biosolides municipaux, avec 42 % de nos boues. Cette pratique s’avère profitable et sécuritaire, si l’on respecte nos règles rigoureuses.

La Ferme Lieutenant, à Stoke, en Estrie, épand des boues d’épuration depuis trois ans. Cette entreprise gérée par Valère Lieutenant, Claudette Lacasse et leurs enfants fertilise une partie de ses 870 hectares avec les boues de la ville de Sherbrooke livrées gratuitement. C’est toutefois le lisier du troupeau de 345 vaches en lactation qui enrichit la majeure partie des terres où alternent maïs-grain et ensilage, soya, avoine, blé, prairies de légumineuses et de graminées.

« Nous avons les résultats les plus évidents dans le maïs : l’azote semble en quantité appréciable dans les boues, et il se libère lentement, de manière un peu similaire au fumier solide ou à une application d’azote fractionnée », constate Pierpold Lieutenant. « Et l’azote est encore disponible au stade V10 [sortie des croix] du maïs, note le jeune producteur. Mais il est préférable d’ajouter une dose d’azote en début de saison, vu cette libération graduelle. » Quant au phosphore, M. Lieutenant le trouve suffisant, au contraire du potassium, dont la teneur est faible.

À quelques centaines de kilomètres de là, plus au nord, près de la ville de Saguenay, la Ferme du Fjord obtient des résultats similaires. Son propriétaire, Daniel Gobeil, enrichit près du quart des terres avec les boues d’épuration, depuis 25 ans. Le lisier des 200 vaches du troupeau sert à fertiliser le reste des 280 hectares de la ferme. On y cultive céréales à paille, canola, maïs-grain sur plastique et fourrages. « Ces boues livrées gratuitement sont très riches en phosphore et la matière organique arrive à se maintenir même dans les champs où on attend plus longtemps avant une prairie », remarque M. Gobeil.

Les biosolides municipaux sont en effet de bonnes sources de matière organique, d’azote et de phosphore, parfois plus concentrées que les fumiers solides ou liquides de bovins et de porcs.

Il est vrai cependant qu’elles sont moins riches en potassium : cet élément, très soluble, est en grande partie rejeté avec les eaux usées de la station d’épuration.

Un autre gage de la valeur fertilisante des biosolides municipaux : leur épandage accroît les populations de vers de terre et de microorganismes utiles du sol, selon des recherches américaines et canadiennes.

Les boues sont-elles sécuritaires?

Oui, si l’on respecte les normes du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCCQ), confirme une étude récente. Dans un rapport publié en avril 2016, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) compare les facteurs de risque et les mesures adoptées en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. L’INSPQ a examiné 5 études épidémiologiques et 24 études d’évaluation du risque. Comme pour les fumiers et les lisiers, les risques de contamination par des microbes pathogènes ou par des contaminants chimiques existent, reconnaissent les auteurs de l’étude. « Mais les normes québécoises sont parmi les plus strictes au monde et, si on les respecte, on demeure très loin des valeurs à risque », constate Onil Samuel, conseiller scientifique expert en santé et environnement à l’INSPQ, qui a coordonné cette étude.

Cette dernière n’a recensé aucun cas de décès, d’épidémie ou d’excès de maladies associé à l’épandage des boues d’épuration. D’autre part, soulève-t-elle, les biosolides municipaux sont nettement plus surveillés que les fumiers et lisiers, dont la quasi-totalité est pourtant épandue sur nos sols agricoles.

« En France, l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques arrivait en 2015 à des conclusions similaires sur l’innocuité de l’épandage des biosolides municipaux », souligne pour sa part Clément Falardeau, relationniste à la direction des communications du MDDELCCQ.

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On doit parfois épandre à une distance de 500 m d’une habitation, selon la catégorie de boue d’épuration et si on n’enfouit pas celle-ci immédiatement ou rapidement. Crédit photo : Gracieuseté de Solution 3R

Comment surveille-t-on nos boues?

Pour réglementer l’utilisation des boues d’épuration, il y a d’abord, au niveau fédéral, la Loi et le Règlement sur les engrais, sous la responsabilité de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Ces textes de loi légifèrent la vente de ce type d’engrais. Puis, intervient au niveau provincial le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (MDDELCC) du Québec. Ce ministère a élaboré des règles rigoureuses et régulièrement révisées dans son Guide sur le recyclage des matières résiduelles fertilisantes.

De son côté, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) a défini certaines catégories de boues qui peuvent être épandues sans restriction.

« Sur le terrain, les agronomes des clubs-conseils ou des coopératives doivent superviser le stockage et l’épandage des boues au champ », précise Geneviève Dussault, agronome et agente de recherche et de planification pour RECYC-QUÉBEC. Cette société d’État dirige la Table de concertation sur le recyclage des matières organiques (TCRMO). Celle-ci a notamment publié des guides d’accompagnement sur le sujet destinés aux municipalités, aux agronomes et aux agriculteurs.

Les boues d’épuration municipales peuvent être épandues sans danger sur les terres agricoles tant que l’on respecte les normes strictes du ministère de l’Environnement. Crédit photo : Gracieuseté de Solution 3R
Les boues d’épuration municipales peuvent être épandues sans danger sur les terres agricoles tant que l’on respecte les normes strictes du ministère de l’Environnement. Crédit photo : Gracieuseté de Solution 3R

« Pour chaque champ et chaque culture, les agronomes soumettent au MDDELCC un avis de projet ou une demande de certificat d’autorisation en tenant compte de la composition des boues, de la culture et des analyses de sol de la ferme », ajoute Mme Dussault.

À la station d’épuration, la municipalité ou une firme qu’elle mandate fait analyser des échantillons de boues régulièrement. Le MDDELCC, le BNQ ou d’autres firmes – accréditées par le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ) – prennent régulièrement leurs propres échantillons, à des fins de contre-vérification. « On envoie nos échantillons à des laboratoires qui analysent la teneur en éléments nutritifs, en contaminants chimiques et en microorganismes pathogènes, c’est-à-dire les salmonelles et E. coli », explique l’agronome Louis Jean, directeur de Solution 3R. Sa firme effectue l’échantillonnage pour les trois stations de la ville de Saguenay. Parallèlement, elle valorise près de 200 000 tonnes de biosolides papetiers auprès d’agriculteurs de la région.

Une trentaine de firmes spécialisées recueillent et transportent les boues des usines de traitement jusqu’aux champs des agriculteurs.

« En plus, des inspecteurs du ministère de l’Environnement se rendent régulièrement à la ferme pour inspecter les amas au champ, l’épandage et les distances séparatrices », poursuit Mme Dussault.

Cinq questions sur les boues d’épuration

  • Peut-on y retrouver des déchets biomédicaux et des seringues? Les déchets biomédicaux ne peuvent être évacués dans les égouts : les déchets anatomiques sont incinérés et les déchets non anatomiques sont incinérés, ou désinfectés et ajoutés aux rebuts domestiques.
  • Trouve-t-on des contaminants de verre, de plastique ou autres? Très peu. Une boue contenant plus de 1 % de corps étrangers (c.-à-d. des objets plus gros que 2 mm) ne peut être épandue.
  • Trouve-t-on des contaminants chimiques dans les boues? On trouve un peu de métaux lourds, mais sous les seuils jugés dangereux. Par exemple, la teneur en plomb et en cadmium des boues d’épuration de la ville de Saguenay n’excède pas la teneur naturelle des sols agricoles de la région. De même, les cendres d’incinération des boues municipales de Montréal et de Longueuil ne contiennent que de faibles concentrations en cadmium, en mercure et en plomb. Quant aux métaux qui sont aussi des oligoéléments pour les plantes et les animaux (cuivre, cobalt, nickel, molybdène, sélénium, zinc et arsenic), leur teneur dans les boues municipales correspond généralement à celle des engrais de ferme. En ce qui concerne les résidus d’antibiotiques, on en retrouverait aussi en très faible quantité. Mais cette quantité serait moindre que dans les fumiers et lisiers, où la concentration n’est pas jugée problématique. De plus, les antibiotiques se décomposent assez rapidement dans le sol. Les biosolides municipaux ne contribueraient que marginalement au risque d’apparition de microbes résistants aux antibiotiques (antibiorésistance). En ce qui a trait aux hormones de croissance, celles que l’on retrouve dans les boues ou les fumiers sont généralement dégradées dans le sol en quelques jours ou semaines.
  • Nos fruits et légumes sont-ils fertilisés avec des boues d’épuration? Au Québec, il est interdit d’épandre des biosolides municipaux dans les cultures consacrées à l’alimentation humaine, sauf les biosolides certifiés par le BNQ. Et même dans ce cas, les associations de producteurs conventionnels ou biologiques hésitent à le faire. « Après un épandage de boues, on doit attendre 14 mois avant une récolte de céréales à paille ou de canola destinés à l’alimentation humaine, et même trois ans, si le canola est andainé, car il est en contact avec le sol », ajoute le producteur Daniel Gobeil.
  • Les boues d’épuration dégagent-elles trop d’odeurs? La majorité des boues ne sentent pas plus que les fumiers et les lisiers. En effet, le MDDELCC estime qu’environ 80 % de toutes les matières résiduelles fertilisantes (MRF) épandues au sol appartiennent aux catégories O2 et O3, cotées respectivement « odeur malodorante » (semblable à celle du fumier solide de bovins laitiers) et « fortement malodorante » (plus forte que celle de ce type de fumier, mais moins ou aussi malodorante que celle du lisier de porc).

Dans la plupart des cas, plus de six heures après le dépôt au sol des boues des catégories d’odeurs O2 et O3, on doit garder une distance séparatrice de 75 et 500 m respectivement entre une habitation ou un immeuble d’une part, et d’autre part l’amas au sol, ou encore le champ où elles sont incorporées.

En 2012, le ministère de l’Environnement n’a reçu des plaintes relatives aux odeurs que pour 1 % des fermes recevant des matières résiduelles fertilisantes (MRF). « Il faut passer par la communication en prévenant les voisins, cela rassure, et plusieurs firmes d’épandage se chargent même de ces démarches », ajoute Geneviève Dussault, de RECYC-QUÉBEC.

Sur le site Web du ministère (www.mddelcc.gouv.qc.ca), on trouvera des réponses à d’autres questions sur le sujet.

Les auteurs de l’étude de l’INSPQ suggèrent de maintenir une « veille scientifique » pour améliorer nos connaissances sur les contaminants moins bien connus. « Il est clair qu’un contrôle et un encadrement sérieux resteront essentiels et nos conclusions sont conditionnelles à leur maintien », martèle Onil Samuel, de l’INSPQ.