Actualités 1 mars 2017

Une nouvelle révolution verte grâce aux champignons?

En s’associant à des champignons dans la terre, les plantes sont en mesure de capter plus d’eau et de nutriments tout en résistant mieux au stress. Cette association méconnue en agriculture pourrait bien être la source de la prochaine révolution verte.

« Les premières plantes terrestres sont apparues il y a 400 millions d’années. À l’époque, il n’y avait pas de matière organique sur le sol et c’est en s’associant aux champignons que les plantes ont pu avoir accès au phosphate », explique J. André Fortin, sommité mondiale sur les champignons et chercheur émérite de l’Université Laval à la retraite. Ces associations ont été si importantes dans le cours de l’évolution que plus de 90 % des plantes ont développé des relations mutuellement bénéfiques avec des champignons.

Comment ça marche? Dans le sol, le champignon développe un réseau de « racines » très fines, appelées hyphes, qui permettent de capter des nutriments inaccessibles aux plantes. Lorsque l’hyphe se connecte à une racine, on parle de mycorhize. C’est à ce moment que le champignon se met à fournir des nutriments et de l’eau à la plante en échange de sucres, sous forme de glucose, généré grâce à l’action de la photosynthèse. En s’associant au champignon, la plante augmente donc énormément son réseau de racines, ce qui la protège des stress, notamment du manque d’eau.

Dans le sol, les bactéries sont en mesure de dissoudre le phosphate. Le réseau de « racines » du champignon, appelées hyphes, transporte ensuite le phosphate jusqu’à la plante en échange d’énergie, que le champignon partage avec la bactérie. C’est une relation bénéfique pour tous.  Montage: Salma Taktek
Dans le sol, les bactéries sont en mesure de dissoudre le phosphate. Le réseau de « racines » du champignon, appelées hyphes, transporte ensuite le phosphate jusqu’à la plante en échange d’énergie, que le champignon partage avec la bactérie. C’est une relation bénéfique pour tous. Montage: Salma Taktek

Le rôle des bactéries n’est pas à négliger non plus, car ce sont elles qui solubilisent le phosphate disponible dans le sol, explique M. Fortin. « Les bactéries échangent ensuite le phosphate avec le champignon contre de l’énergie. Le champignon agit alors comme une ligne de transmission d’énergie et de phosphate dans le sol, entre la plante et les bactéries », dit-il. Et ce réseau de transmission invisible à l’œil nu, ou presque, est immense. « Sur une superficie d’un mètre carré de sol, on retrouve 100 mètres carrés de surface d’absorption lorsque les mycorhizes sont bien développées », ajoute M. Fortin.

Les agriculteurs ont commencé il y a quelques années à exploiter ce phénomène naturel grâce à la mise en marché de produits spécialisés développés par l’entreprise Premier Tech.

Si la technique est connue depuis longtemps, il a fallu plusieurs années pour mettre en marché un produit fiable, rentable et facile d’application pour les producteurs. C’est pourquoi il a fallu attendre à 2010 avant que la gamme de produits AGTIV (anciennement Myke’s) n’apparaisse sur le marché.

« En 2016, plus de 280 000 hectares de cultures ont été traités avec l’inoculant mycorhizien AGTIV, dont 8 200 hectares de pommes de terre », mentionne Jacynthe Thériault, responsable du marketing et des communications pour Premier Tech. Plus de 65 % de ces superficies mycorhizées, principalement des cultures de pois et de lentilles, se trouvent dans l’Ouest canadien. La quantité des superficies inoculées ne cesse de croître depuis 2010, et, d’ici 2019, l’entreprise basée à Rivière-du-Loup devrait inoculer un million d’hectares de terres agricoles.

Des tests réalisés par Premier Tech ont démontré que les pommes de terre inoculées avec des mycorhizes, à droite, étaient plus grosses.  Crédit photo: Premier Tech
Des tests réalisés par Premier Tech ont démontré que les pommes de terre inoculées avec des mycorhizes, à droite, étaient plus grosses. Crédit photo: Premier Tech

De 2011 à 2016, des tests réalisés sur 581 sites de culture de pomme de terre, dans trois pays différents, ont démontré une hausse du rendement moyen de 10,6 %, ce qui représente une augmentation moyenne de 3,8 t/ha. D’autres tests ont démontré une augmentation de rendement de 5,3 % dans le soya, de 18,7 % dans les cultures fourragères, de 5,4 % dans le blé, de 11,8 % pour les oignons, de 10,1 % pour les carottes, de 14 % pour les fraises, de 9,7 % pour les pois et de 6,8 % pour les poivrons et les piments. Selon les cultures, l’application coûte entre 35 et 125 $/ha.

Pour l’instant, Premier Tech a mis en marché des produits spécifiques aux grandes cultures et aux cultures spécialisées : le soya, les lentilles, les pommes de terre, les pois, les légumes, les petits fruits, les arbres fruitiers et les fines herbes. Selon les cultures, les produits sont appliqués sous forme de poudre, de granules ou de liquide.

André Fortin souligne également que les mycorhizes permettent d’épandre directement dans les champs de l’apatite provenant de la mine au lieu d’employer un fertilisant soluble. Résultat : le phosphore demeurera dans le sol au lieu de s’écouler vers les cours d’eau. Il faudra tout de même convaincre les agronomes de l’efficacité de ce produit méconnu, estime ce dernier.

« Il y a toujours de la résistance au changement. Dans certains champs de soya inoculés avec des mycorhizes, les producteurs ont vu plus de fleurs sur les plants, mais pas de cosses, ce qui leur laissait croire que l’inoculant était inefficace. Mais c’était plutôt un problème de potassium. Lorsqu’on ajoute des mycorhizes, il faut abaisser les recommandations de fertilisation en phosphore et augmenter le potassium, qui joue le rôle de translocation des sucres dans les plantes. Si les plantes manquent de potassium, elles se retrouvent bourrées de sucres, sans avoir les pipelines pour faire des cosses », explique le mycologue.

Pour l’instant, les tests ont démontré une augmentation de la production de 300 $/ha en moyenne. D’ici 2021, Premier Tech augmentera la production des produits AGTIV pour être en mesure de couvrir 3 millions d’hectares, ce qui pourrait représenter une croissance des rendements d’une valeur de 1 G$, soutient M. Fortin. « L’inoculation de toutes les cultures au Canada pourrait faire croître l’économie canadienne de 15 G$ si les agronomes se réveillent », conclut ce dernier.

Êtes-vous prêt à prendre le virage champignon?

Guillaume Roy, collaboration spéciale.